L’article 2 de la loi du 21 mai 2001 dite « loi Taubira » stipule que l’esclavage est un crime contre l’humanité. Quatre ans plus tard, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 indique que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française en outre-mer ». Dès lors, la mobilisation des historiens contre cet aspect normatif de la loi, donnant un sens moral à l’histoire et enjoignant de l’enseigner, ne se fait pas attendre : le 25 mars 2005, deux textes – signés par plusieurs historiens de renom, puis le 13 avril par la Ligue des droits de l’homme – demandent son abrogation, appuyée par des milliers de signatures.
Au même moment, l’historien Guy Pervillé mène la riposte, remettant en cause la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Encore quelques mois et un collectif d’historiens célèbres signe le 13 décembre 2005 un appel à la « Liberté pour l’histoire », s’opposant à toute forme de loi qui confondrait, à l’aide de termes contemporains, mémoire et Histoire. Sont critiquées les lois de 1990, faisant du négationnisme un délit, les lois de janvier et mai 2001 reconnaissant le génocide des Arméniens et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité et, pour faire bonne mesure, la loi de février 2005.
Entre-temps, Olivier Grenouilleau, le 12 juin 2005, dans le Journal du dimanche, remet en cause ce concept, déclarant que le problème réside dans le terme choisi dans la loi Taubira, soit le « crime contre l’humanité » qui ne peut que pousser à la comparaison avec la Shoah. Le sous-entendu est clair : la ministre, en maniant l’anachronisme, a commis une faute grave et perturbé le travail des spécialistes. S’ensuivra une plainte posée contre M. Grenouilleau par un collectif d’associations. J’en parle tranquillement : je fus l’un des dix premiers historiens modernistes de l’université française à signer en faveur de sa liberté d’expression.
Une nouvelle qualification
Reprenant le dossier huit ans plus tard, quelle ne fut pas ma surprise de constater que, le lendemain de l’abolition de l’esclavage par la Convention le 16 pluviôse an II (4 février 1794) – en attendant le grand discours de Robespierre sur la Vertu et la Terreur qui a retenu les historiens, au point de ne pas lire le reste du procès-verbal de la séance –, un député, Roger Ducos, soulève un débat des plus passionnants.
Non seulement l’esclavage n’existait plus, mais les Africains et leurs descendants mis en servitude devenaient de suite des citoyens. Mais comment qualifier alors les citoyens français qui possédaient encore des esclaves, qui à Cuba, qui aux Etats-Unis ? Ils devaient renoncer, soit à la nationalité française, soit à continuer d’asservir des êtres humains.
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