Un roman jugé obscène et brûlé en Irlande, L’Homme de gingembre, paru chez Olympia Press, en 1955 (traduit en 1968 chez Denoël), l’avait rendu riche et célèbre. Le romancier et dramaturge irlando-américain James Patrick (J. P.) Donleavy est mort à Mullingar, en Irlande, lundi 11 septembre. Il était âgé de 91 ans.
« Quand je serai mort, j’espère qu’on dira : ses péchés étaient écarlates, mais ses livres furent lus », remarque l’un de ses personnages. Lu, il l’aura été, même s’il est un peu oublié aujourd’hui. Pourtant, il y a une soixantaine d’années, en 1955, alors que William Gaddis signe Les Reconnaissances, qu’Allen Ginsberg récite à San Francisco le « long hululement » – Howl –, qui deviendra le manifeste de la Beat generation, et que Vladimir Nabokov publie, à Paris, la brûlante confession d’Humbert Humbert dans Lolita, un nouveau venu s’impose avec fracas sur la scène anglophone. Il s’appelle J. P. Donleavy et préfigure, dira-t-on plus tard, le bouillonnement iconoclaste des années 1960.
Un coup de maître
Né le 23 avril 1926, à Brooklyn, de parents immigrés irlandais, Donleavy a servi dans la marine américaine pendant la seconde guerre mondiale, avant de s’exiler sur la terre de ses ancêtres en 1946. Inscrit au Trinity College de Dublin, le jeune homme suit nonchalamment des études de bactériologie qu’il laisse tomber en 1949. Sorti de l’université sans diplôme, il se met à écrire. Une nouvelle d’abord, A Party on Saturday Afternoon (« Une fête un samedi après-midi »), publiée en 1950 dans le magazine littéraire dublinois Envoy. Puis un premier roman, ce fameux Homme de gingembre, commencé en 1951 et publié en 1955.
Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Donleavy s’y inspire de sa propre histoire à Trinity. « Depuis mon arrivée ici, tout va mal », ironise le protagoniste, Dangerfield, un ex-GI devenu étudiant grâce au GI Bill, cette loi américaine qui subventionne les études des anciens combattants. « Les types de Trinity s’imaginent que je suis plein aux as. Pour eux, la bourse d’étude du GI démobilisé, c’est la pluie de dollars, la diarrhée de gros sous. » En réalité, Dangerfield est « pourri de dettes », fait la tournée des pubs, boit trop, met des tas de choses au clou à l’insu de sa femme, profite de son absence et de celle de sa fille pour inviter n’importe qui, transformer la maison en cloaque, baratiner les filles et copuler tant et plus. Bref, pour mener l’irrésistible vie de débauche qui le fait tant rêver avant, dit-il, de se « trouver repris dans l’engrenage » du train-train domestique, « la vaisselle graisseuse ou le derrière sale de la petite ».
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