On la reconnaît à ses longues oreilles fines et tombantes, à sa tête sans laine et sans cornes, et à son petit museau. Ceux qui n’y connaissent rien en fromage la remarquent à peine. En Castille-La Manche, à 200 km au sud de Madrid, la brebis manchega fait partie du paysage. Elle broute entre les moulins célébrés par Miguel de Cervantes et se nourrit de céréales dont les champs jaunis par le soleil s’étendent à perte de vue. Mais ceux qui s’y connaissent savent que la manchega est l’aristocrate des brebis espagnoles, la reine du queso manchego.
La « brebis au sang bleu », disent les magazines spécialisés. Son lait est le plus cher du royaume, « peut-être même d’Europe », assure Pedro Condes, responsable de la dénomination d’origine (DO), au siège de l’institution, à Valdepeñas. La brebis « en produit à peine un litre par jour. Mais il est riche et parfumé ». Tellement épais « qu’il suffit de cinq litres pour faire un kilo de manchego ». Tellement précieux « qu’un mâle reproducteur vient d’être vendu aux enchères pour 4 700 euros, douze fois la mise d’origine ».
On ne sait pas pourquoi la brebis manchega, descendante de l’Ovis aries ligeriensis, a traversé les Pyrénées et le nord de l’Espagne il y a plusieurs siècles et s’est sédentarisée dans un des lieux les plus inhospitaliers qui soit, où la température dépasse parfois 50 °C en été, où les pluies sont rares et les gelées fréquentes en hiver. Des vestiges archéologiques prouvent que l’on fabriquait déjà du fromage dans la région à l’âge du bronze. Et que la manchega fit le bonheur des bergers, qui l’ont protégée en évitant qu’elle se croise avec d’autres races.
« Al mansha », la « terre sans eau »
L’appellation contrôlée, créée en 1984, impose que le manchego doit être fabriqué au lait cru ou pasteurisé et que l’affinage minimum varie de quarante-cinq à soixante jours. En revanche, aucune concession n’est tolérée sur la race de l’animal : un vrai manchego est composé de 100 % de lait de brebis manchega. Sinon, ce n’est qu’une pâle copie.
Un vrai manchego est gras comme le lait qui sert à le fabriquer. Il est dur et sec comme cette terre dont le nom vient de l’arabe al mansha, la « terre sans eau ». Les plus affinés sont granuleux, piquent la langue et chatouillent les narines. Mais le manchego est plus que tout cela : il est une part de l’identité espagnole, témoin de son histoire et de sa culture.
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