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Le torero espagnol Damaso Gonzalez est mort

Star des arènes dans les années 1970, celui qu’on surnommait le « Fakir d’Albacete » s’est éteint, le 26 août, à l’âge de 68 ans.

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Publié le 30 août 2017 à 17h27, modifié le 30 août 2017 à 17h32

Temps de Lecture 4 min.

Le torero Damaso Gonzalez.

Retiré depuis 2003, le torero Damaso Gonzalez est mort, samedi 26 août, à la clinique Quiron Pozuelo de Alarcon (Madrid). La mort d’un torero, en piste ou en clinique, n’a rien de particulièrement glorieux. Ce n’est pas une mort ordinaire. Elle fait penser. Né le 11 septembre 1947 à Albacete, Damaso Gonzalez avait 68 ans. Dans la catégorie bien connue des « plus grands morts que vivants », Damaso Gonzalez tient la corde. Par gros temps pour la tauromachie qui n’a plus pour terre d’asile que les pages obituaires des journaux, sa vertu, son incompréhensible courage et sa connaissance de tous les toros, méritent un brin de réflexion.

Sommes-nous si nombreux à l’avoir aimé du temps même où il pratiquait ? Il impressionnait le public des années 1970 et suivantes. Lassait les connaisseurs et décourageait les critiques. « Faenas » longues, aussi étirées que ses passes, expressionnisme discutable, ce soir, on ne bronche plus.

Maigrichon, pâlichon, un visage ne collant en rien aux canons en cours ou à venir, Damaso Gonzalez commence sous le sobriquet d’« El Lechero » : le « marchand de lait », boulot qu’il exerçait chez ses parents, modestes éleveurs de trois vaches. « Belmonte Manolete, Damaso Gonzalez, les grands toreros sont laids », soutenait l’anarchiste Camacho, « inventeur » de José Tomas et Talavante : « Ils ont des pieds trop grands» Manolete, mort en plaza de Linares le 28 août 1947, a commencé comme Damaso Gonzalez dans les impitoyables spectacles comico-taurins (encore une époque…).

Faire rire

La singularité du comico-taurin, inséparable naguère de toutes les grandes ferias, c’est que certaines passes qui enchanteront le public, ce soir encore, étaient là pour faire rire : la « chicuelina » où le toréador se drape dans la cape au ras des cornes, la « manoletina », si prisée aujourd’hui, depuis que Tomas l’a remise en honneur, et ces naturelles où le « diestro » feint, à ses risques et périls, de regarder le public d’un air tragique au passage du fauve. Les paupières tombantes et l’air de chien battu de Damaso Gonzalez, en rajoutaient. Les spécialistes de la spécialité regardaient ailleurs…

Il est plus que probable que ces bizarres subtilités paraissent, ce soir, indigentes. Voire blâmables. Elles disaient une époque, une syntaxe, un humble et amical rapport de l’homme à l’animal et ce mode d’être sur terre, qui auront certainement disparu. Du haut de sa petite taille, Damaso Gonzalez se confrontait avec amour à de vrais taureaux, presque toujours plus hauts que lui. Regardez la « faena » du 2 juin 1993 devant un Samuel Flores à Madrid (Madrid !). Damaso Gonzalez a 45 ans, vous verrez ce que toréer voulait dire.

De villages en villages et de coups de cornes en « volteretas » (vol plané sur les cornes), Damaso Gonzalez mène son chemin sous le nom de « Curro de Alba » – fantaisie lexicale des imprésarios que l’on connaît dans la boxe ou le catch, jusqu’à ce que l’un d’entre eux, peut-être Camara, le grand manitou de Manolete, lui invente une ressemblance suffisante pour le ressusciter. Belmonte, Manolete, Damaso Gonzalez, trois façons de redéfinir les terrains impossibles.

En complet veston

Plus tard, on l’appellera le « Fakir d’Albacete ». Voir le « Pharaon » (« Curro Romero »), « Duke » Ellington, « Count » Basie, et faire une thèse. Le 24 juin 1969, après des triomphes historiques à Barcelone (comme José Tomas), il prend l’alternative – la thèse, l’adoubement – en plaza d’Alicante, avec Miguel Mateo Miguelín pour parrain, et Paquirri en témoin. Paquirri a l’air d’un enfant.

Petit détail en passant, le 18 mai 1968, Miguelin avait sauté en piste en complet veston, pendant qu’El Cordobès changeait d’épée, pour caresser gentiment le frontal de son petit veau, et montrer l’imposture. Chahut, Madrid en bataille d’Hernani, arrestation immédiate, amende colossale, etc.

Cravate en bannière, indifférent à toute artisterie, Damaso Gonzalez poursuit sa course à la recherche de la vérité. Impassible, crâne, connaisseur de tous les toros, ceux des élevages les plus durs, il s’expose, il explose. Le public exulte. Les renfrognés ronchonnent et lui accordent – ce soir, surtout, pour les survivants – un sens du rythme et du « temple » sans précédent. Au ras des cornes devant lesquelles il balance la « muleta » façon pendule, mais devant de vrais taureaux. Il joue du « tremendisme », l’art de transmettre le tremblement des peurs, pour de vrai.

Le pendule sans horloge

Ouvrant la voie à Paco Ojeda et à tous ceux qui pratiqueront le pendule sans horloge. En 1980, il est en tête de l’« escalafon », l’ATP, le Ballon d’or, la première place à l’agrégation… – Certes, mais il n’y avait guère de concurrence, à l’époque… – Pardon ? Ruiz Miguel, Nimeño, Manzanares, El Viti, Curro Vazquez, Aparicio, Litri, Ordoñez, Capea, bientôt Espartaco ? La liste est-elle assez complète ?

Les toreros modestes rament plus que les autres. La sincérité de Damaso Gonzalez, son « temple », sa générosité offerte à tous les toros sans exception, tout ce qu’acclamait naïvement ce gros public qui a disparu, se trouvent aujourd’hui célébrés par les bons connaisseurs. Il était temps ! Ses compagnons ou descendants le reconnaissent comme figure d’époque. Il était plus que temps.

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