Quand l’hymne de la Ligue des champions retentira, mercredi 18 octobre, dans le stade « olympique » de Bakou, lors de la réception de l’Atlético Madrid par l’équipe azérie du Qarabag Futbol Klubu (QFK), à 300 kilomètres de là, à Agdam, le stade historique du club restera silencieux. Jadis peuplée de 30 000 habitants, la ville du Caucase est aujourd’hui une cité fantôme, et les décombres de son stade sont depuis longtemps la proie des herbes folles.
Club en exil, le QFK porte le nom d’une région perdue en 1994 mais toujours revendiquée par l’Azerbaïdjan. Loin des gratte-ciel futuristes formant la ligne d’horizon de Bakou, son siège se dissimule dans la banlieue poussiéreuse de Suraxani. Inauguré voilà deux ans, le complexe rappelle sans cesse au visiteur qu’il pénètre dans l’antre du « club des réfugiés ».
Dans la vitrine, côtoyant les trophées, dont cinq titres de champion d’Azerbaïdjan, quelques poignées de terre rapportées du stade d’Agdam évoquent le destin de cette ville. Sur certains bureaux de l’administration, des livres illustrés vantent « l’histoire azerbaïdjanaise du Karabakh à travers les siècles ».
Sur le pré, la pelouse est taillée au cordeau. Mehi Hüseynov y veille. Le responsable des terrains, visage buriné paré d’une courte moustache, est la mémoire vivante du Qarabag FK. La seule personne à ne l’avoir jamais quitté, y ayant occupé tous les rôles depuis 1982 : joueur, entraîneur adjoint, manageur, administrateur, avant de s’occuper des pelouses. Cet homme de 51 ans, qui confesse n’avoir « jamais osé rêver de Ligue des champions » après les années noires vécues par le club, se charge également de « maintenir l’héritage » auprès des nouveaux joueurs.
« Annihilation stratégique » d’Agdam
Dans ce pays amputé de près d’un cinquième de son territoire – revendiqué – depuis la défaite de 1994 face à l’Arménie, le conflit du Haut-Karabakh demeure une blessure vive. Et l’existence d’un club azerbaïdjanais portant le nom de cette région est un symbole qui va au-delà du football – un sport par ailleurs largement dépassé, en termes de popularité, par la lutte ou la boxe.
Située dans le piémont du massif montagneux du Nagorny-Karabakh, Agdam a servi de base à l’armée azérie après la sécession du Haut-Karabakh. A la fin de la guerre, la ville, localisée entre la ligne de cessez-le-feu et le territoire de la République autoproclamée, est occupée puis détruite par les soldats arméniens. Dans l’Atlas des cités perdues (Arthaud, 2014), l’historienne Aude de Tocqueville évoque une « annihilation stratégique » de la ville, dont ne subsistent que les tours jumelles de la mosquée. Surnommée la « cité blanche » pour la couleur de ses pierres, « Agdam a été rayée de la surface du globe du jour au lendemain (…), dans l’objectif de transformer la ville en zone tampon en cas de reprise du conflit ».
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