En mars 2011, dans les jours qui ont suivi la catastrophe de Fukushima, Vincent de Rivaz a activé ses réseaux. La colère contre la technologie nucléaire enflait à travers le monde. Le patron d’EDF Energy, la filiale britannique de l’électricien français, savait que son projet de construire une centrale avec deux réacteurs de type EPR à Hinkley Point, dans l’ouest de l’Angleterre, risquait de sombrer.
« Un proche collaborateur m’a appris que les hauts fonctionnaires du ministère de l’énergie britannique voulaient déclarer une pause [dans les projets nucléaires]. J’ai dit : “Surtout pas ça ! Une pause, dans le nucléaire, ça ne reprend jamais.” » Chris Huhne, le ministre de l’énergie de l’époque – un libéral-démocrate, opposé en principe au nucléaire –, devait s’exprimer, dans les jours suivants, au congrès de printemps de son parti, et il était sous pression des militants pour faire un geste fort. « Je l’ai appelé et je lui ai dit : “j’ai une meilleure idée. Demande à l’Autorité de sûreté nucléaire britannique de faire un rapport, pour en tirer toutes les leçons.” » Le ministre a approuvé, en trouvant dans cette parade une façon de garder le projet en vie, tout en donnant l’impression d’agir.
M. de Rivaz a ensuite décidé d’apparaître dix jours après la catastrophe à l’émission politique phare de la BBC, « The Andrew Marr Show », contre l’avis de ses conseillers. « Si, moi, je n’allais pas défendre le nucléaire, qui l’aurait fait ? » Quelques mois plus tard, le rapport de l’Autorité de sûreté imposait des normes plus strictes, qui ont renchéri le coût du projet d’Hinkley Point, mais qui lui permettaient de continuer.
Alors que, mardi 31 octobre, M. de Rivaz quitte après seize ans son poste à la tête d’EDF Energy, ces quelques jours essentiels résument une bonne partie de son travail permanent d’équilibriste pour mener la relance du nucléaire outre-Manche. Fukushima, difficultés de l’EPR, crise financière à EDF, opposition grandissante au Royaume-Uni, tentative de dernière minute du gouvernement de Theresa May d’arrêter le projet… Les obstacles se sont accumulés. Et pourtant, le chantier d’Hinkley Point a reçu un feu vert définitif de tous les acteurs en septembre 2016. Le tout doit coûter 19,6 milliards de livres sterling (22,1 milliards d’euros), produire 7 % de l’électricité du Royaume-Uni et la première tranche doit être opérationnelle en 2025.
« Quel excellent négociateur ! Je l’admire »
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