Le High Museum d'Atlanta (Géorgie) vient de briser le secret que souhaitait garder quelques semaines le Louvre : à la mi-janvier, le musée américain a dévoilé à la presse la liste des oeuvres que le musée parisien va lui prêter pendant près de onze mois, du 14 octobre au 2 septembre 2007, dans le cadre d'un partenariat noué en 2004.
Le High Museum, rénové par l'architecte Renzo Piano, a concédé, pour trois ans, une aile de son bâtiment au Louvre, lequel s'engage à lui fournir une exposition chaque année ; la deuxième réunira des pièces archéologiques. Mais c'est bien le premier accrochage qui va faire parler. Car jamais dans son histoire le Louvre ne s'était séparé aussi longtemps d'oeuvres aussi nombreuses et prestigieuses.
La liste, confirmée par la direction du Louvre, comprend quinze peintures, des dizaines de dessins, bronzes et objets d'art décoratif (vases, chandeliers, consoles, tapisseries, fauteuils...). Au total, quelque 185 oeuvres. Mais ce sont les chefs-d'oeuvre picturaux qui retiendront l'attention, car ils appartiennent au noyau des collections du musée créé en 1793: le Portrait de Baldassare Castiglione, de Raphaël ; Le Jeune Mendiant, de Murillo ; Saint Matthieu et l'ange, de Rembrandt ; Les Bergers d'Arcadie, de Nicolas Poussin ; Les Baigneuses, de Jean-Honoré Fragonard, le Portrait de la marquise de Pompadour, de François Boucher. D'autres tableaux feront le voyage : L'Union du dessin et de la couleur, de Guido Reni, le Double portrait du marquis et de la marquise de Marigny, de Louis-Michel Van Loo, L'Infante Marie-Marguerite de l'atelier Vélasquez, et des oeuvres de Jean-Siméon Chardin, Blain de Fontenay, Antoine Monnoyer, Nicolas Lancret, Charles Le Brun et Pierre de Cortone.
La direction du Louvre indique qu'elle avait prévu de rendre publique cette liste "le 4 avril, lors d'une conférence de presse annonçant une série d'expositions liées aux Etats-Unis". Mais la partie américaine de ce dossier semble bien plus motivée à annoncer cet événement que la partie française. " L'information circule aux Etats-Unis et sur Internet. En France, c'est le secret d'Etat !", grince Didier Rykner, qui a dévoilé la liste de la première exposition sur son site Internet, latribunedelart.com. Le chef du département des peintures du Louvre, Vincent Pomarède, qui pilote le partenariat avec le High Museum d'Atlanta, reconnaît qu'il est "difficile" de communiquer sur ce type d'opération.
"PARTENARIAT GLOBAL ET INTELLIGENT"
Car on voit venir la critique : le Louvre prive son public de certains chefs-d'oeuvre, pour de l'argent. En échange de ce prêt, le musée a en effet réussi à obtenir "13 millions d'euros" auprès de fonds privés américains levés grâce à l'Association américaine des amis du Louvre (American Friends of the Louvre). "Le musée va recevoir 7,5 millions d'euros pour commencer les travaux de rénovation des salles d'art du XVIIIe siècle, dont le coût total est de 15 millions d'euros, indique M. Pomarède. Le reste (soit 5,5 millions d'euros) va permettre de financer cette première exposition à Atlanta (transport des oeuvres, assurances...) et de publier des catalogues."
Didier Rykner porte un regard très critique sur l'opération. Il dénonce "la délocalisation et la mondialisation des oeuvres".Et affirme qu'il est loin d'être le seul à penser ainsi : "Quatre-vingts pour cent des conservateurs, historiens de l'art et universitaires, en France, sont opposés à ce type de partenariat. Mais, au nom d'un devoir de réserve excessif, personne n'ose le dire."
A cette critique, Vincent Pomarède répond que les Musées du Louvre et d'Atlanta mènent "un partenariat global et intelligent. Les huit départements du musée ont travaillé de manière transversale, ce qui est rare, pour choisir des oeuvres qui vont être prêtées et qui retracent l'histoire du Louvre. Il ne s'agit pas d'une sélection de chefs-d'oeuvre pour le public américain. En face, le Musée d'Atlanta a mis en place un dispositif pédagogique pour accompagner les visiteurs." M. Pomarède précise : "Nous ne sommes pas fous. Certains chefs-d'oeuvre ne quitteront pas le Louvre pendant onze mois. Le Raphaël sera prêté pour une durée de trois mois et Le Poussin pour cinq mois."
Il est difficile de savoir comment l'opération est perçue chez les conservateurs du Louvre, ceux-ci refusant de s'exprimer. On sait toutefois qu'en 2002 Le Portrait de Baldassare Castiglione avait été prêté à contre-coeur au Sénat, sur ordre des plus hautes autorités de l'Etat, en vue de l'exposition Raphaël. "Il y a chez nous des avis très divergents, depuis ceux qui estiment qu'il ne faut rien prêter jusqu'à ceux qui trouvent qu'on ne prête pas assez et qu'on n'est pas assez représentés à l'étranger, répond M. Pomarède. Mon rôle est à la fois de tenir compte de la fragilité des oeuvres et de rappeler la nécessité d'être présent sur la scène internationale. Nous devons donner un nouveau souffle au Louvre."
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu