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La Russie condamne le réalisateur ukrainien Oleg Sentsov à vingt ans de prison

Connu pour s’être opposé à l’annexion russe de la Crimée, il a été reconnu coupable de « terrorisme ». L’UE et les Etats-Unis appellent à sa libération.

Par  (Moscou, correspondante)

Publié le 25 août 2015 à 16h37, modifié le 26 août 2015 à 11h27

Temps de Lecture 6 min.

Oleg Sentsov le 21 juillet à Rostov-sur-le-Don.

Forcément « coupables ». Mardi 25 août, le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don a condamné le réalisateur ukrainien Oleg Sentsov à vingt ans d’emprisonnement, pour « organisation d’un groupe terroriste », et Alexandre Koltchenko à une peine de dix ans pour « participation » à ce même groupe.

A l’énoncé du verdict, les deux hommes, bravaches et sourire ironique aux lèvres, ont entonné l’hymne ukrainien. L’issue de ce procès débuté en juillet, il est vrai, ne constitue en rien une surprise : opposé à l’annexion russe de la Crimée, dont il est originaire, Oleg Sentsov a été arrêté le 10 mai 2014, moins de deux mois après le référendum contesté qui devait « légitimer », aux yeux de Moscou, le rattachement de la péninsule ukrainienne au territoire russe.

Alexandre Koltchenko a suivi le même chemin. « Tiens bon Oleg, le temps viendra où ceux qui t’ont condamné se retrouveront sur le banc des accusés ! », a aussitôt réagi Petro Porochenko, le président ukrainien, sur son compte Twitter.

« C’était attendu, un enquêteur du FSB [services spéciaux russes] nous avait prévenus pendant le procès et le tribunal n’a pas eu honte de suivre ces paroles », a commenté pour Le Monde l’avocat du réalisateur ukrainien, Dmitri Dinze.

La justice russe accuse les deux hommes d’avoir tenté d’incendier deux locaux de partis et d’avoir projeté de dynamiter la statue de Lénine à Simferopol. Pour cela, le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don, où étaient jugés les deux Ukrainiens, également reconnus coupables de détention d’armes, s’est appuyé sur les « aveux » de deux complices présumés qui ont déjà été condamnés à sept ans de prison. Ces derniers avaient affirmé que les accusés faisaient partie de Pravyi Sektor (« Secteur droit »), un groupe de nationalistes paramilitaires ukrainien. Depuis, l’organisation a démenti qu’ils en étaient membres et l’un de ces témoins à charge, Guennadi Afanassiev, est revenu lors de son procès sur ses déclarations en affirmant qu’elles lui avaient été extorquées sous la torture. « Il n’y a aucune preuve », insiste Me Dinze, que Le Monde a rencontré avant le verdict. Mais rien n’a ébranlé la détermination des juges.

« Erreurs judiciaires évidentes »

« Cette affaire viole le droit international et les bases élémentaires de la justice », a fustigé dans un communiqué la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, en appelant à la « libération immédiate de MM. Sentsov et Koltchenko et à garantir leur retour en toute sécurité en Ukraine ». L’UE ne reconnaissant pas l’annexion de la Crimée, « les tribunaux russes ne sont pas compétents pour juger des actes commis en dehors du territoire internationalement reconnu de la Fédération de Russie », a encore précisé la chef de la diplomatie européenne.

Dans la foulée, le département d’Etat américain a dénoncé des « allégations sans fondement de complot terroriste » et qualifié les deux condamnations « d’erreurs judiciaires évidentes ». « Les deux Ukrainiens, a souligné son porte-parole John Kirby, ont été pris en otages, transférés et emprisonnés en Russie où ils se sont vu imposer la citoyenneté russe ». Oleg Sentsov et Alexandre Koltchenko n’ont en effet pas été jugés en tant que citoyens ukrainiens, ce qu’ils revendiquent être, mais comme citoyens… russes.

« Menace des forces extérieures »

Le ton avait été donné par Vladimir Poutine lui-même. En visite en Crimée du 17 au 19 août, le président russe avait, lors d’une réunion à Sébastopol, insisté sur la « menace » persistante, selon lui, « des forces extérieures » accusées de vouloir « déstabiliser la situation dans la péninsule, peut-être en jouant sur la carte nationaliste, ou bien en utilisant telle ou telle erreur ou action inefficace du pouvoir ». « Dans certaines capitales, avait poursuivi le chef du Kremlin, on parle ouvertement de la nécessité de former des structures destructives, on recrute des cadres pour des actes de sabotage et de la propagande radicale. Tous ces risques, avait-il conclu, il faut les prendre en compte et réagir, au niveau fédéral et local, de façon appropriée. » Ces propos ne laissaient guère de chance aux deux accusés de Rostov-sur-le-Don.

Oleg Sentsov (39 ans, père de deux enfants) et Alexandre Koltchenko (25 ans) n’ont cependant pas été jugés en tant que citoyens ukrainiens – ce qu’ils revendiquent être –, mais comme citoyens russes. Depuis l’annexion de la Crimée, tout résident qui n’accomplit pas une démarche spéciale pour refuser devient automatiquement russe, ce que les deux hommes, en prison, n’ont pas fait. Dès lors, le consul général d’Ukraine, qui était présent dans la salle lors du verdict, s’est vu refuser d’exercer son droit de visite. « Nous avons déposé plainte pour cela. Sentsov dit qu’il a été transféré de citoyenneté comme un serf », soupire son avocat. Avant de quitter la salle du tribunal, mardi, le réalisateur ukrainien, pour lequel plusieurs cinéastes de renommée internationale se sont mobilisés (parmi lesquels Wim Wenders et Andreï Zviaguintsev, coauteur et réalisateur de Léviathan), a levé les doigts en signe de victoire.

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Sans illusion face à ses juges lors de la dernière audience publique de son procès, le 19 août, Oleg Sentsov, filmé par Media Zona, le site internet créé par les Pussy Riots, s’était déjà montré pugnace.

« Cela fait déjà maintenant un an que je suis dans votre pays merveilleux, que je regarde votre télévision (…), votre propagande est magnifique. Je crois que la plus grande partie de la population croit à ce qu’on lui dit, que Poutine est le meilleur, qu’en Ukraine il y a des fascistes et que la Russie est entourée d’ennemis (…). Mais je comprends qu’il y a aussi des gens intelligents, comme vous qui êtes au pouvoir. Vous savez très bien qu’il n’y a pas de fascistes en Ukraine, que la Crimée a été prise illégalement et que votre armée est présente dans le Donbass. Moi, étant ici, en prison, je sais que vos forces militaires y sont. La prison est remplie de combattants du Donbass qui ont été envoyés là-bas avec vos tanks, vos armes. Ils combattent là-bas et ils pensent qu’on les attend ici, ils reviennent avec des munitions, ils boivent à la frontière et on les arrête. Et là, ils s’étonnent :Quoi ? Nous sommes des héros ! »

« Troubadours du régime »

Puis, se tournant vers les journalistes présents dans la salle : « Et voilà les troubadours du régime ! Ce ne sont pas des idiots non plus, ils sont bien au courant de tout, mais ils continuent de mentir, de faire leur travail en se trouvant des excuses, qu’ils ont des enfants… Mais à quoi bon faire grandir une nouvelle génération d’esclaves ? »

« A part ceux-là, il existe un autre tiers de la population russe qui ne croit pas aux contes de votre agit-prop, qui comprend ce qui se passe, quels crimes horribles est en train de commettre votre pouvoir, mais ces gens-là ont peur. Ils pensent qu’on ne peut rien changer, que tout restera ainsi, que le système est incassable, qu’ils sont seuls et qu’on va tous se retrouver en prison. Pour cela, ils restent calmement au sous-sol comme des souris. Nous aussi, nous avions un pouvoir criminel, et nous sommes sortis [dans la rue] contre lui (…), et en fin de compte, nous avons gagné. »

« Restez dans le cadre du procès, l’avait alors interrompu un juge. « Je termine, avait répliqué Oleg Sentsov. La seule chose que je peux souhaiter à ce tiers de la population, c’est d’apprendre à ne plus avoir peur. »

Autre Ukrainienne célèbre détenue en Russie, la pilote Nadia Savtchenko, accusée d’être responsable de la mort de deux journalistes russes dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine, et qui affirme avoir été enlevée de force, devrait bientôt être jugée à son tour à Donetsk, en Russie, dans une ville du même nom que sa sœur ukrainienne devenue le bastion des séparatistes prorusses.

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