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Patrick Devillers, le Français emporté dans le tourbillon du scandale Bo Xilai

Longtemps proche de la famille Bo, Patrick Devillers assure ne pas être concerné par les accusations qui pleuvent sur Bo Xilai et son épouse.

Par  et Brice Pedroletti (Phnom Penh, envoyé spécial)

Publié le 19 mai 2012 à 11h09, modifié le 21 mai 2012 à 10h14

Temps de Lecture 5 min.

Bo Xilai et sa femme Gu Kailai, en janvier 2007, à Pékin.

De sa vie antérieure en Chine, Patrick Henri Devillers a gardé le goût des cigarettes Hongdashan, les seules chinoises qu'il trouve au Cambodge, et un solide fond de taoïsme dans lequel il puise sans relâche pour repousser les médias étrangers lancés aux trousses du "mystérieux Français" de l'affaire Bo Xilai. Le nom de cet architecte français de 52 ans n'est pas associé par hasard à celui des "Bo". Sa trajectoire professionnelle et privée a croisé, dans la ville chinoise de Dalian, celle de cette famille de l'aristocratie rouge chinoise au cœur d'un scandale aussi retentissant que protéiforme.

Mais de là à faire de lui un double de Neil Heywood, le consultant anglais dont Gu Kailai, l'épouse de Bo Xilai, aurait commandité l'assassinat à Chongqing en novembre, lui donne le tournis. On sent qu'il tente à la fois de reprendre ses esprits et de se préserver. Le récit de sa vie s'est déchiré, comme le ciel lourd de la mousson en ce dimanche du mois de mai dans le jardin d'un hôtel de Phnom Penh.

A l'instar de Neil Heywood, Patrick Devillers a connu les Bo à Dalian, la grande ville des bords de la mer jaune dont Bo Xilai fut le maire de 1992 à 2000. Mais cet homme posé, qui estime ne pas avoir à rendre de comptes, récuse catégoriquement avoir joué l'un des rôles qu'on veut lui prêter par association avec Neil Heywood : par exemple d'être mêlé aux placements des Bo à l'étranger. Ou encore d'avoir eu une aventure avec Gu Kailai – comme il est subodoré dans le cas de l'Anglais, même si aucun élément n'a plus filtré de l'enquête depuis le coup de tonnerre, en mars, de la mise en examen de l'ancienne avocate pour homicide volontaire.

De Heywood, Patrick Devillers savait qu'il s'évertuait à faire venir des entreprises anglaises à Dalian. Tous deux n'avaient pas les mêmes métiers. "On avait en commun d'être mariés à des Chinoises. On se connaissait", dit-il à propos de Heywood. "Je peux dire de lui en tout cas qu'il n'était pas du tout dans l'esbroufe. Il avait une grande noblesse d'âme, dans les traditions anglaises de l'honneur."

DES RÊVES DE CINÉMA

Arrivé à Shanghaï en 1987 pour y appendre le chinois, avec des rêves de cinéma, Patrick Devillers y rencontre sa future épouse qui étudie la cithare antique au conservatoire. En 1989, il se lance dans un projet de production de film sur les étudiants de Tiananmen, qui s'interrompt avec le massacre. Il s'installe à Dalian en 1992, d'où sa femme est originaire et qui souhaitait se rapprocher de sa famille. Il a 32 ans, son fils vient de naître.

Les premiers souvenirs qu'il a de Gu Kailai, la femme de Bo Xilai alors avocate d'affaires, viennent d'une présentation qu'elle a faite devant des investisseurs étrangers à Dalian. L'avocate, alors âgée d'une trentaine d'années, lui apparaît alors "très articulée, une personne très brillante". Comme beaucoup de Chinois qui utilisent un prénom anglais, elle se faisait appeler Horus, Horus Kai. Il la contacte pour qu'elle l'aide à récupérer des honoraires impayés pour des travaux d'architecture. L'épouse du maire a de l'entregent, et son cabinet, Horus Kai Law Firm, débloquera la situation.

C'est l'époque où elle et son mari – qui à 43 ans est l'un des plus jeunes maires du pays – incarnent cette nouvelle Chine, celle que Deng Xiaoping a décidé d'ouvrir économiquement lors d'un voyage désormais fameux dans le Sud du pays.

A Dalian, Patrick Devillers trouve assez rapidement une place dans le département d'architecture et d'urbanisme de la mairie. Il est diplômé de l'Ecole spéciale d'architecture de Paris, mais aussi de l'Université de Tongji, à Shanghaï, connue pour son département d'architecture. Il parle parfaitement le chinois et se sent le cœur à l'ouvrage, après cinq années d'engagement culturel et sentimental avec la Chine.

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Pour cet architecte, Dalian est dans les années 1990 un chantier permanent, au propre comme au figuré. "C'était très stimulant. Il y avait une énergie incroyable. On se retrouvait en réunion à 11 heures du soir, tout était à faire. C'était une ville industrielle mal foutue, on ne voyait pas la mer, il y avait des murs partout. Bo a fait tout sauter", se rappelle-t-il. Le maire a une réputation de rigueur auprès de ses subalternes. "Les chefs de département évitaient d'aller boire au karaoké, ils ne voulaient surtout pas être pris en flagrant délit", dit-il.

Les diverses études auxquelles participe l'architecte l'accaparent. Il croit entrevoir toutes sortes de possibilités créatives dans la reconfiguration en cours des villes chinoises. Un projet lui tient particulièrement à cœur : un "parc pour la paix" à Lushun, l'ancien Port Arthur. Il imagine une superposition de trames qui représentent les méridiens du globe. Des pierres alignées portent des messages gravés. Il ne restera du projet initial que quelques évocations…

ESPOIRS DÉÇUS

Aujourd'hui, il voit surtout les espoirs déçus, l'énergie dépensée sur des projets auxquels on ne consacre que 10 % du budget nécessaire. Quand il prend le large, à partir de 2005, il se dit qu'il "a perdu dix ans".

Auprès des Bo, l'architecte français de la mairie de Dalian tient le rôle d'un ami étranger, dont les idées, la culture, le regard séduisent. Il croise régulièrement le maire dans son travail. Il sera invité à trois reprises dans l'appartement de la famille à Dalian. "A ses yeux, dit-il de Bo Xilai, j'étais une sorte d'artiste." Le jeune Guagua, le fils de Bo Xilai et Gu Kailai, né en 1987, lui donne du shushu (tonton). A la demande des parents, il l'accompagne plusieurs fois en Angleterre, où il est envoyé très jeune dans des "public schools". Il le fait par amitié, la question ne se posait même pas, dit-il, de recevoir pour cela la moindre compensation financière.

Deux sociétés détenues par Patrick Devillers ont été identifiées par les journalistes étrangers à la recherche de possibles sociétés écrans qui auraient servi à transférer des fonds en provenance de la famille Bo dans l'espoir que ces pistes confirmeraient, par ricochet, le rôle d'intermédiaire du malheureux Neil Heywood. Il y a méprise, maintient Patrick Devillers. La première société était liée à l'architecture et n'a pas fonctionné. La seconde remonte à son père, Michel Devillers, le fondateur de la Sogerim, qui fait des opérations immobilières depuis une trentaine d'années en France.

L'argent en tout cas, n'est pas ce qui a retenu Patrick Devillers en Chine. De son mariage qui a périclité, Patrick Devillers a gardé de l'amertume. Et quand il divorce, il laisse à sa femme et à son fils le peu de biens qu'il a sur place. Il n'a, dit-il, rien à cacher : "Je suis parti de Chine comme j'y étais arrivé, sans rien !"

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