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Compte rendu intégral du débat : immigration (partie 4)

Retrouvez le texte intégral du débat entre les deux candidats au second tour de l'élection présidentielle, François Hollande et Nicolas Sarkozy.

Le Monde

Publié le 03 mai 2012 à 02h11, modifié le 03 mai 2012 à 16h25

Temps de Lecture 26 min.

Messieurs, ça fait une heure et demie qu'on parle d'économie, il faut qu'on aborde les questions de société.

François Hollande : Et vous avez pris une très grave responsabilité.

Nicolas Sarkozy : Juste un mot. D'abord monsieur Hollande connaît mal l'Europe

François Hollande : Je l'a connais très bien.

Nicolas Sarkozy : Et il ne sait pas qu'en Europe on ne fait pas des oukazes, il ne suffit pas de dire en tapant avec son poing sur la table que je ne veux pas. Il y a des compromis à faire, parce que l'Europe c'est justement cela. L'Europe de Delors, l'Europe de Monnet, l'Europe de De Gaulle, c'est l'Europe où on sait s'entendre et se comprendre. Deuxièmement, l'austérité, je ne l'ai pas voulue en France. Les pensions de retraite ont été actualisées, les bourses des étudiants nous les avons passées à dix mois, les allocations chômage nous ne les avons pas baissées. Où l'austérité a frappé monsieur Hollande ? Partout où vos amis étaient en pouvoir et n'ont pas pris les décisions. En Espagne, le salaire des fonctionnaires baisse de 5%, la retraite baisse de 4%. En Grèce, avec monsieur Papandréou, les salaires ont baissé de 21 %. Je n'ai jamais voulu de l'austérité, de la rigueur en France. Le pouvoir d'achat des fonctionnaires en France a augmenté de 10%. Enfin, un dernier mot sur le volontarisme. Monsieur Hollande, ne me donnez aucune leçon.

François Hollande : Nicolas Sarkozy, vous dites que vous, vous savez faire des compromis ? Non. En l'occurrence par rapport à l'Allemagne, vous n'avez pas tenu bon. Vous n'avez rien obtenu et, par ailleurs, vous dites "moi je suis un héritier de Delors, de Jean Monnet" et c'est vous qui menacez de suspendre votre participation à certaines négociations si vous n'obtenez pas satisfaction ? Quelle est cette logique ? Vous seriez pour le compromis dans certaines circonstances et puis vous seriez pour la chaise vide dans d'autres. Ça ne tient pas. Deuxièmement, vous avez toujours la volonté de nous ramener à l'Espagne, à la Grèce. Je rappelle une chose pour la Grèce, quoi qu'on puisse penser de ce qu'a fait monsieur Papandréou lorsqu'il a été premier ministre grec, il a fait ce qu'il a pu. Il héritait d'un gouvernement conservateur. Le pays qui va aussi très mal, c'est l'Italie, qui a été gouvernée par l'un de vos amis, Silvio Berlusconi, pendant des années. Et donc, vous viendriez nous dire " ici, il y a des bons points, des mauvais points ". Il y a eu des gestions qui ont été mauvaises, mais il y a eu aussi une Europe qui n'a pas été au rendez-vous. Donc, mon devoir, si je deviens le prochain président de la République, c'est de donner une autre orientation de l'Europe que celle que vous avez subie.

David Pujadas : Une minute de réponse s'il vous plaît et on passe vraiment à autre chose.

Nicolas Sarkozy : Je ne crois pas que monsieur Berlusconi soit mon ami puisqu'il a semblé souhaiter votre élection.

François Hollande : Il est en tout cas de votre parti au niveau européen.

Nicolas Sarkozy : Non, ça n'est pas exact.

François Hollande : Ne dites pas une contre-vérité. Il est du PPE ou pas ?

Nicolas Sarkozy : Monsieur Berlusconi est berlusconiesque.

François Hollande : Non. Est-ce qu'il est du PPE ou non ? Répondez à ma question.

Nicolas Sarkozy : Je ne suis pas votre élève. J'y répondrai après vous avoir dit ce que j'ai à vous dire.

François Hollande : Donc, monsieur Berlusconi est au PPE dans le même parti que le vôtre.

Nicolas Sarkozy : Monsieur Berlusconi n'est pas dans mon parti ni de près ni de loin.

François Hollande : Il l'est au niveau européen.

Nicolas Sarkozy : Vous osez dire que je n'ai rien obtenu de l'Allemagne ? Le gouvernement économique, la présidence stable du gouvernement économique, l'Allemagne le voulait ? C'était une demande de la France. Je ne peux mettre ça que sur une incompétence monsieur Hollande, pas sur la mauvaise foi. Deuxième élément, je n'ai rien obtenu de l'Allemagne ? Quand la BCE prête à 1%, vous en parliez tout à l'heure, en violation de la lettre des traités, je l'ai obtenu au sommet de Strasbourg, avec monsieur Monti, de l'Allemagne. Pourquoi rabaisser la France, monsieur Hollande ?

François Hollande : Je ne rabaisse pas la France, c'est vous qui êtes en cause, pas la France. Ne confondez pas votre personne avec la France.

Nicolas Sarkozy : Pourquoi ne pas suivre les dossiers ? Le président de la République représente la France.

François Hollande : Il représente la France mais il n'est pas la France. Quand je vous mets en cause, je ne mets pas en cause la France.

Nicolas Sarkozy : Dans la négociation internationale, dire que je n'ai rien obtenu de l'Allemagne, que la France n'a rien obtenu de l'Allemagne, c'est faux, c'est une contrevérité et une grande incompétence. Sur Schengen, un dernier mot. Schengen, c'est 1987. Lorsque Schengen ne fonctionne pas, et Schengen ne fonctionne pas, je l'ai dit, je persiste et je signe, si Schengen ne change pas et que la frontière entre la Grèce et la Turquie reste complètement ouverte, nous rétablirons des contrôles ciblés unilatéralement à nos frontières. Quand le général de Gaulle a fait la politique de la chaise vide pour la politique agricole commune, il a obtenu satisfaction. Les frontières, ça n'est pas un gros mot. Et si nous avons fait Schengen, ce n'est pas pour supprimer les frontières, c'est pour que les frontières soient défendues au confins de l'Europe.

Laurence Ferrari : On va justement parler des questions de société.

David Pujadas : Vous êtes à égalité de temps de parole, donc on va fermer ce chapitre économique et passer à un certain nombre de sujets de société, moins qu'on l'avait prévu parce qu'il est déjà 22h30. Je vous propose de commencer avec un sujet dont on a pas mal débattu ces derniers temps, l'immigration. Nous n'avons pas beaucoup de temps, donc je vous propose de vous concentrer sur des points précis qui sont au cœur de vos désaccords. Le premier point concerne ce qu'on appelle les flux d'immigrés, ceux que nous accueillons sur notre sol. Vous ne faites pas le même diagnostic ni n'avez les mêmes objectifs. Vous souhaitez, Nicolas Sarkozy, réduire ce nombre d'immigrés. Vous dites, François Hollande, que ce n'est pas la priorité, en tout cas pour la plupart d'entre eux, pas forcément les immigrés économiques. Que proposez-vous précisément ? Allez-y François Hollande.

François Hollande : Nicolas Sarkozy est donc en responsabilité de l'immigration depuis dix ans, ministre de l'intérieur, puis président de la République. Le nombre de personnes entrant sur notre territoire en situation légale est de 200 000 par an; c'était 150 000 sous le gouvernement de Lionel Jospin. Donc, vous avez accepté pendant dix ans que rentrent sur notre territoire, pour des raisons légales, 200 000 immigrés supplémentaires. En 2007, quand vous vous êtes présenté au suffrage des Français, vous aviez dit " sur les 200 000, je voudrais que la moitié soit de l'immigration choisie, de l'immigration économique ". En définitive, ce chiffre n'a pas pu être atteint et l'immigration économique est tombée à 30 000 au lieu des 100 000 attendus. Et puis, là, aujourd'hui, vous changez encore d'objectif et vous nous dites " maintenant, je veux réduire de 200 000 à 100 000, le nombre des immigrés rentrant légalement sur notre territoire ". Qu'est-ce que je dis moi ? L'immigration économique, je pense qu'aujourd'hui il faut la limiter. Nous sommes en situation de chômage, croissance faible, il y a des métiers qui pouvaient être tendus, aujourd'hui, nous n'avons pas à avoir plus d'immigration économique. Et je fais même une proposition: que chaque année, au Parlement, il y ait une discussion pour savoir exactement le nombre que nous pouvons admettre pour l'immigration économique. Les étudiants étrangers, près de 60 000 sur les 180 à 200 000, je suis pour qu'il y ait des étudiants étrangers qui viennent apprendre sur notre territoire et j'ai trouvé regrettable que monsieur Guéant fasse une circulaire pour rendre plus compliquée leur situation. Parce que nous avons besoin de ces talents, parce qu'ils vont avec notre langue développer des savoirs qui nous seront très précieux. Ensuite, il y a les demandeurs d'asile, nous en recevons à peu près 50 à 60 000 qui mettent un an et demi avant d'obtenir une réponse: 1 an et demi. On ne peut pas laisser des familles attendre un an et demi pour avoir une réponse, quand elle est positive ils restent sur notre territoire et quand elle n'est pas positive, ils y restent quand même parce que c'est très difficile de repartir. Donc, j'ai dit que nous devrions donner une réponse en six mois pour les demandeurs d'asile. Restent l'immigration familiale et les conjoints de Français. Je considère que, pour l'immigration familiale, il faut poser des règles sur un niveau de revenu minimum, ce qui existe déjà, et aussi pour les conditions de logement et la maîtrise du français. Sur les conjoints de Français, c'est là-dessus que vous voulez intervenir, je considère que nous ne pouvons pas empêcher un Français ou une Française qui s'est marié, sauf si ce mariage est contestable et est contesté, de faire venir son conjoint ici. Donc, je considère que l'immigration légale peut être maîtrisée mais qu'on ne peut pas fixer des objectifs qui sont tout à fait hors d'atteinte. Et ce sera d'ailleurs la même chose qu'en 2007 quand il s'était agi de l'immigration économique qui n'a pas du tout été l'immigration choisie que monsieur Sarkozy avait imaginé.

David Pujadas : Votre réponse, Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy : Nous ne sommes pas d'accord sur les chiffres et là encore les observateurs feront litière de tout ça. Le flux migratoire annuel a atteint son maximum historique la dernière année du gouvernement de Lionel Jospin avec 215 000 titres de séjour, qui faisaient suite à une régularisation générale de 80 000 personnes en situation illégale. Le flux migratoire annuel aujourd'hui est de 180 000. Je conteste donc formellement vos chiffres.

François Hollande : C'est 200 000 en moyenne sur les dix dernières années.

Nicolas Sarkozy : C'est 180 000. La France est un pays ouvert et je sais moi-même d'où je viens. Le problème est le suivant, vous avons accueilli trop de monde ce qui a paralysé notre système d'intégration. Nous n'avons pas assez d'emplois, pas assez d'écoles, pas assez de logements. Il faut donc réduire le nombre de ceux que nous accueillons. Pas parce que nous ne les aimons pas, pas parce que nous en avons peur, mais parce qu'on n'arrive plus à les intégrer. Deuxième élément, je ne peux pas dire aux Français, " il faut faire des économies, réduire nos dépenses " et accepter une immigration qui ne viendrait en France que parce qu'elle est tentée par des prestations sociales parmi les plus généreuses. J'ai donc proposé, sur les cinq années qui viennent, de faire en sorte que nous divisions par deux le flux migratoire entrant en France, de  180 000 à 90 000. Comment allons-nous y arriver ? Première proposition, un juge unique pour le droit des étrangers. Aujourd'hui, ce n'est pas le même juge qui maintient un étranger en France.

François Hollande : Mais ça n'a rien avoir avec l'immigration légale, ça, c'est pour l'expulsion. Vous me parlez d'autre chose. Pour l'immigration légale, ça n'a rien à voir, ça n'est pas le juge qui décide.

Nicolas Sarkozy : Aujourd'hui, quelqu'un qui arrive en France, on le met en rétention pour voir s'il correspond à un critère de régularisation, asile, rapprochement familial, il est en rétention. Le juge de la rétention, c'est le juge judiciaire et le juge de l'expulsion, c'est le juge administratif. Je souhaite que ce soit le même juge parce que, si on libère de la rétention quelqu'un avant de lui avoir donné une réponse, " vous avez le droit d'entrer ou pas le droit d'entrer ", s'il est rentré avant, naturellement on ne pourra pas l'expulser après, ça sera beaucoup plus difficile. Deuxième élément, pour tout nouvel entrant, y compris sur le rapprochement familial comme sur le regroupement familial, parce que les deux c'est 65 000 personnes par an, je propose que, dans tous nos consulats, soit organisé un examen de français avant l'entrée sur le territoire pour toute personne ayant un âge qui dépasse 16 ans et de connaissance des valeurs de la République. Car je ne sais pas comment on peut intégrer en France des personnes qui ne parlent pas un mot de français. Et enfin, pour éviter qu'on ne vienne en France que pour l'attrait de certaines prestations sociales, je propose qu'on ne puisse toucher les prestations sociales comme le minimum vieillesse ou le RSA qu'après dix années de présence en France et cinq années de cotisation. Après tout, que les étrangers en France aient les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres.

David Pujadas : Il y a un autre sujet qui vous divise, c'est le droit de vote pour les immigrés non membre de la communauté européenne aux élections municipales. Vous y êtes favorable François Hollande.

François Hollande : D'abord un mot sur ce qui vient d'être dit, la question du juge n'a rien à voir avec l'immigration légale. La question du juge, c'est par rapport à l'immigration illégale pour favoriser ou faciliter l'expulsion. Donc, la proposition de monsieur Sarkozy n'est pas du tout appropriée à l'immigration légale, elle est appropriée à la lutte contre l'immigration illégale. Par ailleurs, ce que je peux comprendre mais qui doit d'abord toucher les filières clandestines, mais j'arrive à votre question sur le droit de vote.

Nicolas Sarkozy : Est-ce qu'on garde les centres de rétention.

François Hollande : Bien sûr qu'on les garde.

Nicolas Sarkozy : Alors pourquoi vous avez écrit dans cette lettre au directeur général de Terre d'asile, je cite : " je souhaite, moi François Hollande, que la rétention devienne l'exception ". S'il n'y a plus de rétention...

François Hollande : Il s'agit de l'immigration irrégulière. Irrégulière, pas légale. Irrégulière pour les centres de rétention. On ne met pas des personnes qui sont entrées légalement sur notre territoire.

Nicolas Sarkozy : Bien sûr. C'est là le problème. On a plus un problème d'immigration illégale que d'immigration légale.

François Hollande : Nous parlions d'immigration légale.  Vous n'étiez pas dans l'ordre du jour, vous n'étiez pas dans le sujet.

Nicolas Sarkozy : Donc les centres de rétention, on les garde.

François Hollande : Vous changez de sujet. Sur les centres de rétention, je considère qu'un enfant ne peut pas être mis dans un centre de rétention parce qu'il est avec sa famille au milieu d'autres étrangers dans des conditions très difficiles.

Nicolas Sarkozy : Qui a créé les centres de rétention pour enfants ? Monsieur Jospin, c'est monsieur Jospin qui les a créés.

François Hollande : Ce que nous devons faire maintenant, c'est avoir des centres de rétention permettant l'accueil des familles pour permettre ensuite leur reconduite...

Nicolas Sarkozy : Ça existe déjà.

François Hollande : Un seul.

Nicolas Sarkozy : Donc on garde les centres de rétention.

François Hollande : Les centres de rétention sont nécessaires, ils existent partout.

Nicolas Sarkozy : Donc pourquoi écrivez-vous le contraire à France Terre d'asile ? Toujours l'ambiguïté.

François Hollande : Non, il n'y a aucune ambiguïté, quand la personne est menacée...

Nicolas Sarkozy : " La rétention doit devenir l'exception ". Vous venez de dire aux Français que vous les garderez.

François Hollande : Mais non, j'ai dit que je garderai les centres de rétention et que la personne qui risque de s'enfuir doit être mise en centre de rétention. J'en arrive au droit de vote.
Nicolas Sarkozy : Cette lettre vous l'avez envoyée il y a dix jours.

François Hollande : Je l'ai envoyée, bien sûr.

Nicolas Sarkozy : Vous venez de vous contredire sur un sujet aussi important que l'existence d'un centre de rétention.

François Hollande : Mais pas du tout.

Nicolas Sarkozy : C'est-à-dire là où vont tous les étrangers qui n'ont pas encore de papiers. On examine leur situation, monsieur Hollande écrit à France Terre d'asile : " la rétention doit devenir l'exception ", et vous venez de dire qu'on le garde. Ce n'est pas sérieux sur un sujet de cette importance.

François Hollande : Vous savez que beaucoup d'étrangers qui sont reconduits ne passent pas en centre de rétention.

Nicolas Sarkozy : Comment on les retrouve s'ils ne sont pas en centre de rétention ?

François Hollande : Ils sont assignés à résidence, et ensuite ils sont...

Nicolas Sarkozy : Ah, assignés en résidence...

François Hollande : Absolument, et ensuite reconduits à la frontière.

Nicolas Sarkozy : Parce qu'un étranger qui arrive en situation illégale, il a une résidence. Et on va l'assigner dans sa résidence.

François Hollande : Il arrive souvent que ces étrangers soient en France depuis plusieurs mois ou plusieurs années.

Nicolas Sarkozy : Vous vous noyez monsieur Hollande.

François Hollande : Ne laissez pas penser que ce sont des étrangers qui sont arrivés depuis quelques mois.

Le droit de vote.

François Hollande : J'en arrive au droit de vote après cette digression. Sur le droit de vote, c'est une position que je défends depuis des années. Uniquement pour les élections municipales, et par rapport à des étrangers en situation régulière sur le territoire et installés depuis plus de cinq ans. Monsieur Sarkozy: vous étiez favorable à cette position, vous l'aviez écrite en 2001, rappelée en 2005, confirmée en 2008, vous disiez que vous étiez intellectuellement favorable à cette introduction du droit de vote des étrangers pour les élections municipales, mais que vous n'aviez pas la majorité. Vous avez parfaitement le droit de changer, moi je ne change pas. Je considère que ces personnes qui sont sur notre territoire depuis longtemps, qui paient des impôts locaux doivent pouvoir participer au scrutin municipal. Ça existe d'ailleurs dans la plupart des pays européens, notamment en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni pour les membres du Commonwealth, et en Espagne sous réserve de réciprocité. Et je pourrais continuer, il y a à peu près 50 pays dans le monde, beaucoup sont en Europe, qui appliquent le droit de vote des étrangers pour les élections municipales. Pour faire passer cette réforme, il nous faudra avoir une majorité des trois cinquièmes, c'est une révision de la Constitution. Je soumettrai donc cette proposition au Parlement. S'il y a une majorité des trois cinquièmes, ça voudra dire qu'une partie de la droite et du centre, et vous avez beaucoup de vos amis, un certain nombre, qui y sont favorables, et la réforme passera. S'il n'y a pas de majorité, ça sera au peuple français, et seulement au peuple français, de pouvoir en décider.

Nicolas Sarkozy : J'ai beaucoup réfléchi sur cette question, qui est une question difficile et sur laquelle il faut prendre des engagements clairs. Qu'est-ce qu'il s'est passé depuis dix ans ? On a eu une montée des tensions communautaires extravagante, on a eu une radicalisation et une pression, disons les choses comme elles sont, d'un islam de France alors que nous voulons un islam en France. Je considère comme irresponsable de proposer un vote communautariste et un vote communautaire alors que nous sommes face à des tensions communautaires et identitaires extraordinairement fortes. Monsieur Hollande dit : " ce n'est pas grave, ce sont les élections municipales ". Il a tort, parce que l'élection municipale et le maire, c'est la deuxième élection et le deuxième personnage après le président de la République; les élections où il y a le plus de participation, c'est l'élection présidentielle et l'élection municipale. Il a une deuxième fois tort, parce que les élus locaux que vous élisez servent à élire les législateurs, parce qu'en France, quand on élit un conseil municipal, c'est le conseil municipal qui élit le sénat.

François Hollande : Je veux vous arrêter là-dessus. Cette règle existe déjà pour les résidents communautaires, pour les résidents européens. Et vous savez que les conseillers municipaux européens ne peuvent pas voter pour les élections sénatoriales. Donc, ce que vous avez dit est faux. Nous n'aurons pas plus de conseillers municipaux étrangers que nous n'aurons de conseillers municipaux européens, et ils auront exactement le même droit, en l'occurrence, ils n'auront pas le droit de participer à l'élection du Sénat. Par ailleurs, permettez-moi de vous dire, si je peux faire cette interruption : pourquoi  laissez-vous supposer que les étrangers non communautaires, non européens, sont des musulmans ? Pourquoi vous dites ça ? Qu'est-ce qui vous permet de dire que ceux qui ne sont pas européens sont musulmans ?

Nicolas Sarkozy : Si je peux terminer mon raisonnement...

François Hollande : Répondez à ma question.

Nicolas Sarkozy : Merci. Je vais terminer mon raisonnement.

François Hollande : Vous répondrez tout à l'heure à cette question j'imagine.

Nicolas Sarkozy : Bien sûr que je répondrai à cette question. D'abord parce qu'il y a une différence entre un étranger communautaire comme l'on dit.

François Hollande : Donc européen.

Nicolas Sarkozy : Parce qu'il y a une citoyenneté européenne, il y a un projet politique européen, et il y a la réciprocité. En Europe, les Français dans d'autres pays votent, et les Européens en France votent, pas de problème. Et vous savez très bien que le droit de vote pour les immigrés s'adresse à qui ? Il ne s'adresse pas aux Canadiens, il ne s'adresse pas aux Américains, il s'adresse pour l'essentiel à ce qui est la réalité de l'immigration française, qui est une immigration africaine, Afrique du Nord, Afrique subsaharienne. Si vous ne savez pas ça...

François Hollande : Si, vous en faites un lien avec une appartenance religieuse ?

Nicolas Sarkozy : Puis-je terminer ?

François Hollande : Vous en faites un lien avec une appartenance religieuse ?

Nicolas Sarkozy : Puis-je terminer ?

François Hollande : Allez-y.

Nicolas Sarkozy : Contester que le droit de vote aux immigrés, c'est un droit de vote qui ira d'abord à une communauté d'Afrique du Nord, ou à une communauté subsaharienne, c'est ne rien connaître aux flux migratoires.

François Hollande : Est-ce que vous en faites une conséquence avec une religion ?

Nicolas Sarkozy : J'y viens. Donc, on est bien d'accord que l'essentiel des personnes concernées ne seront pas les Norvégiens, ne seront pas les Canadiens, ou ne seront pas les Américains.

François Hollande : Il y aura ces étrangers.

Nicolas Sarkozy : Mais non, parce que la première communauté, les premières communautés...

François Hollande : Donc, quelles conséquences vous en tirez ?

Nicolas Sarkozy : Les premières communautés étrangères en France sont algériennes, sont tunisiennes, sont marocaines, sont maliennes, elles ne sont pas de l'autre côté de l'Atlantique. C'est une réalité de dire ça. Vous n'allez pas me faire un procès parce que je décris une réalité.

François Hollande : Continuez.

Nicolas Sarkozy : Deuxièmement, si vous prenez les pays d'Afrique du Nord. Ce sont des pays de confession musulmane, oui ou non ?

François Hollande : Vous pensez que...

Nicolas Sarkozy : Ce n'est pas quelque chose que je vous apprends.

François Hollande : Vous pensez donc...

Nicolas Sarkozy : Je peux terminer ?

François Hollande : Allez-y.

Nicolas Sarkozy : Je ne vous apprends pas quand même ça. Que c'est de l'autre côté de la Méditerranée, que l'Algérie c'est musulman, que le Maroc c'est pour l'essentiel de religion et de confession musulmanes. Le roi est quand même le commandeur des croyants! Et que la Tunisie, c'est pareil. Les tensions communautaires dont je parle, elles viennent de qui, elles viennent d'où ? Le problème que nous avons à gérer, extrêmement difficile pour la République, sauf à ce que vous ayez un masque devant les yeux et que vous ignoriez totalement la réalité dans nos quartiers, ils viennent de quoi ? De l'absolue nécessité d'avoir un islam de France et non pas un islam en France. C'est bien là que se trouve le problème. Il ne se trouve pas ailleurs. Vous refusez de le considérer, c'est refuser de voir la réalité. Si vous donnez le droit de vote aux immigrés, avec la tentation communautariste que nous connaissons aujourd'hui et que nous voyons chaque jour, que vous dénoncez comme moi d'ailleurs, à ce moment-là, pour les municipales il y aura des revendications identitaires et communautaires, des horaires différenciés pour les femmes et les hommes dans les piscines, des menus différenciés dans les cantines municipales, des médecins différenciés pour les hommes et les femmes dans l'hôpital.

Est-ce que vous souhaitez répondre François Hollande ?

François Hollande : Oui, je vais répondre, parce qu'on ne peut pas laisser sans réponse ce type de déclaration. C'est...

Terminez Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy : Permettez-moi de vous le dire, c'est moi qui ai créé le CFCM [Conseil français des cultes musulmans], et je n'accepterai aucune leçon en la matière. Mais dire que le problème communautaire aujourd'hui, que le problème d'intégration aujourd'hui se pose d'abord pour l'immigration venant d'Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne, que c'est un problème pour nous, que l'islam de France est devenu la deuxième religion de France, que nous avons fait un effort considérable pour qu'il y ait des lieux de culte puisqu'il y a 2200 mosquées _ entre parenthèses, la France traite mieux les musulmans en France que les chrétiens ne sont traités en Orient _, mais que c'est un problème qui se pose à nous, et que nous devons imaginer pour qu'il n'y ait pas d'amalgame et que chacun soit traité à égalité de droits et de devoirs, une intégration et un islam de France, c'est pour ça que j'ai voulu la loi interdisant la burqa, parce que la burqa sur le territoire de la République, elle n'a pas sa place. Vous ne l'avez pas votée, cette loi, on se demande bien pourquoi vous ne l'avez pas votée. Vous étiez absent ce jour-là et le Parti socialiste, courageusement, a pris la poudre d'escampette quand il a fallu voter. Monsieur Hollande, allez-y, répondez.

François Hollande : D'abord, sur le droit de vote, vous y étiez favorable en 2008, ce n'était pas il y a très longtemps...

Nicolas Sarkozy : Sous condition de réciprocité.

François Hollande : Non, ce n'est pas vrai.

Nicolas Sarkozy : C'est faux.

François Hollande : Je rappelle qu'un pays comme le Maroc accorde la réciprocité pour le droit de vote aux élections locales. Donc, même avec cette réserve, votre argument ne peut pas tenir. Vous aviez pris cette position, vous étiez déjà président de la République, vous en changez, vous avez le droit. Deuxièmement, vous dites que ça va introduire des revendications communautaires. Je mets en cause ce principe parce qu'il y a des étrangers qui sont là depuis des années, qui viennent effectivement d'Afrique ou du Maghreb, qui peuvent être musulmans ou pas, pratiquants ou pas, et qui ne conçoivent pas forcément une participation à une élection locale comme un instrument de pression religieuse. Je vous fais d'ailleurs observer qu'il y a des Français qui sont de culte musulman aujourd'hui. Est-ce que ces Français là font des pressions communautaires ?

Nicolas Sarkozy : S'ils sont français, ils votent comme des citoyens français.

François Hollande : Est-ce qu'ils font des pressions communautaires pour que nous mangions une certaine viande ou pour que nous ayons des horaires dans les piscines. Il y a des musulmans en France, citoyens français, qui ne font pas de revendications communautaires à ce que je sache. Donc pourquoi il y aurait à l'occasion des élections municipales, pour des étrangers qui sont là depuis des années...

Nicolas Sarkozy : Cinq ans, vous avez dit.

François Hollande : Ce sont les parents de citoyens français. Combien avons-nous de cas où des Français qui sont nés en France, qui sont devenus française, citoyens, ont leurs propres parents qui sont venus en France il y a 30 ans, 40 ans, 50 ans et qui sont restés...

Nicolas Sarkozy : Mais c'est leur droit, ils peuvent devenir français. Nous ne souhaitons pas que les immigrés en France puissent voter.

François Hollande : Nous pouvons ne pas être d'accord mais lier, comme vous l'avez fait, le vote à une aspiration communautaire... Et je le dis, que les Français n'aient aucune inquiétude: sous ma présidence, il n'y aura aucune dérogation à quelques règles que ce soit en matière de laïcité. Vous, par exemple, vous n'étiez pas favorable à la loi sur le voile à l'école. Vous n'y étiez pas favorable, nous avions fait un débat là-dessus. C'était au théâtre du Rond-Point, en 2003, j'ai encore le texte. Vous n'étiez pas favorable à l'interdiction du voile à l'école. C'était votre droit à l'époque, vous avez sans doute encore changé d'avis. Moi, j'y étais favorable et j'ai voté cette loi de l'introduction... de l'interdiction du voile à l'école. C'était Jacques Chirac  qui en avait décidé. Ensuite, sur la burqa, j'ai voté la résolution interdisant la burqa.

Nicolas Sarkozy : Vous l'avez votée ?

François Hollande : La résolution.
Nicolas Sarkozy : Ah, vous n'avez pas voté la loi. C'est toujours une petite ambiguïté.

François Hollande : Et sur la loi, j'avais, avec le groupe socialiste déposé des amendements qui n'ont pas été reçus. La meilleure façon était donc de laisser passer la loi mais, je vous l'affirme ici, la loi sur la burqa, si je deviens président de la République, sera strictement appliquée. Il n'y aura pas non plus, parce que vous faites souvent ce type de proclamation dans vos réunions publiques... les horaires de piscine. Il n'y a aucun horaire de piscine qui sera toléré s'il fait la distinction entre les hommes et les femmes. Plusieurs municipalités ont fait... vous avez souvent cité Martine Aubry, c'est terminé depuis 2009 et c'était pour des femmes qui étaient en surpoids, qui en avaient fait la demande.

Nicolas Sarkozy : Il n'y a pas d'hommes en surpoids non plus ?

François Hollande : Il y a d'autres... J'ai refusé qu'il y ait la moindre ouverture. Et si vous voulez constater qu'il n'y a plus d'ouvertures d'horaires spécifiques pour les femmes, je vous donnerai le site de la mairie de Lille pour que vous puissiez vous-même aller voir la piscine en question. Deuxièmement, sur la viande halal, que les Français sachent bien que sous ma présidence, rien ne sera toléré en termes de présence de viande halal dans les cantines de nos écoles. Qu'il n'y ait pas nécessité de faire peur ! Et sur la loi du droit de vote des étrangers, qui suppose une modification de la Constitution, soit il y a une majorité des trois cinquièmes, ce qui supposera qu'une partie de la droite et du centre vote cette loi, soit les Français seront consultés. Mais je vais terminer là-dessus. J'essaye d'avoir une cohérence dans les convictions. Je n'en change pas en fonction des circonstances ou des votes qui peuvent intervenir au premier tour d'une élection présidentielle. Je préfère tenir bon sur une position que je défends depuis des années plutôt que d'en changer sous la pression des circonstances.

Nicolas Sarkozy : Monsieur Hollande, je sais que vous avez le sens de l'humour mais vous, tenir bon sur vos convictions, franchement, pas vous, et pas ça. Sur les centres de rétention, je note que vous allez les garder et vous avez promis à France Terre d'asile de les supprimer. Sur la régularisation, vous aviez promis de les faire, on n'a toujours pas compris quelle sera votre politique. Vous n'avez aucun objectif chiffré en termes d'immigration, sauf sur l'immigration économique qui représente 15000 cas sur 180 000.

François Hollande : J'ai dit que nous resterons sur 180000, sur le nombre de régularisations, ça restera autour de 30000, parce qu'actuellement vous régularisez 30000 personnes chaque année.

Nicolas Sarkozy : Non, je dis qu'il faut diminuer... et enfin, sur la burqa, vous avez voté sur la résolution mais pas sur la loi mais vous ne changerez pas la loi. Si vous n'êtes pas quelqu'un qui varie comme la girouette au sommet du clocher, franchement...

François Hollande : Et vous, vous n'avez pas changé sur le droit de vote des étrangers ?

Nicolas Sarkozy : Oui, et je vais vous dire pourquoi.

Lire la suite : Compte-rendu intégral du débat : nucléaire, institutions, politique étrangère (partie 5)

Lire : Erreurs, contrevérités et controverses du débat

Lire Le compte rendu intégral du débat Sarkozy-Hollande (partie 1)

Lire Compte rendu intégral du débat : économie (partie 2)

Lire Le compte rendu intégral du débat: dépenses publiques, éducation, Europe (partie 3)

Le Monde

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