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Bon AniVRSR chr SMS !

Plus pratique qu'un coup de fil, parfait pour les timides, le SMS a la vie dure. Depuis vingt ans, ce petit message écrit sur un téléphone a survécu à Facebook, à Twitter et autres réseaux.

Par Cécile Ducourtieux

Publié le 03 décembre 2012 à 08h36, modifié le 03 décembre 2012 à 10h47

Temps de Lecture 8 min.

Les Français ont échangé 43,7 milliards de SMS au troisième trimestre 2012, soit en moyenne plus de 210 par individu.

Qui n'a pas envoyé le moindre SMS cette semaine ? Qui n'a jamais commis de faute d'orthographe ou usé d'un anglicisme aussi facile qu'inutile ("yes", "cool") en écrivant un texto, forcément à la va-vite ? De fait, ces brefs messages écrits échangés entre téléphones mobiles restent l'un des moyens de communication les plus populaires au monde.

Le SMS (short message service) fête pourtant ses 20 ans : le premier d'entre eux, "Merry Christmas", aurait été envoyé le 3 décembre 1992 par Neil Papworth, un ingénieur de la société Sema Group, à un collègue de l'opérateur britannique Vodafone. Etonnant destin pour une technologie plutôt sommaire, qui a jusqu'à présent réussi à survivre à l'e-mail, à Facebook, au chat, au MMS (l'envoi de photos par téléphone mobile), à BBM, la messagerie propriétaire de BlackBerry...

Les chiffres donnent le vertige. En 2011, plus de 4 000 milliards de SMS auraient été envoyés dans le monde, selon le cabinet Strategy Analytics. Les Français s'en sont échangé 43,7 milliards au troisième trimestre 2012, soit en moyenne plus de 210 par individu. Les moins de 25 ans en font souvent un usage frénétique : entre 700 et 800 par mois... "Certains utilisent davantage leur téléphone pour les SMS que pour téléphoner, c'est quand même fou !", relève Jean-Michel Huet, expert du secteur au cabinet BearingPoint.

"POUR ÊTRE HONNÊTE, JE N'Y CROYAIS PAS"

Au début des années 1990, rien ne permettait de prévoir un tel engouement : la destination première du SMS n'était pas commerciale. Lors de l'élaboration de la norme de téléphonie GSM, avant tout conçue pour transporter de la voix, un canal avait été aménagé afin que les techniciens des opérateurs de télécoms puissent s'envoyer des messages. "C'était pratique pour localiser les pannes sur le réseau", se rappelle Jean-Michel Huet, qui travaillait alors chez France Télécom.

"Pour être honnête, je n'y croyais pas", avoue Michel Feneyrol, ex-directeur du CNET, le fameux laboratoire des télécommunications français, quand les premières offres grand public sont apparues, au milieu des années 1990. Les opérateurs hexagonaux s'y mettent autour de 1996. "On a fini par se dire qu'il y avait un potentiel, vu l'incroyable engouement, entre 1994 et 1998, pour les pagers [ces petites machines radio qui n'envoyaient que des messages textes], les Tatoo chez France Télécom et les Tam-Tam de Cegetel", rappelle Jean-Michel Huet. Le SMS décollera vraiment quand il sera possible d'en échanger entre opérateurs différents.

Les textos deviennent une vraie manne : ils ont rapporté des centaines de millions d'euros par an et par opérateur. Un peu moins depuis la multiplication des forfaits SMS illimités, apparus autour de 2005. Avant cette date, le chiffre d'affaires moyen par SMS était encore supérieur à 10 centimes d'euro. Il a été divisé presque par trois en 2009, à en croire l'Arcep, le régulateur français des télécoms. "Le SMS ne coûte presque rien. C'est un message court, qui n'encombre pas les réseaux. Au début, on s'est demandé si on n'allait pas le proposer gratuitement et faire payer la messagerie. Finalement, on a choisi l'inverse, le SMS payant et la messagerie gratuite, alors que cette dernière coûte plus cher à maintenir", raconte un ex de France Télécom.

Il existe aussi une véritable économie, difficile à évaluer, autour des SMS surtaxés. Ils représentent, par exemple, une part non négligeable du chiffre d'affaires des émissions de téléréalité. Pour voter, les téléspectateurs envoient des SMS plus chers qu'un message ordinaire : le différentiel de tarif revient au producteur et au diffuseur. "Danse avec les stars", émission-phare de TF1, fonctionne toujours sur ce principe, en faisant payer chaque SMS 65 centimes d'euro. Mais la chaîne refuse de communiquer les montants gagnés. Par ailleurs, les arnaques aux textos, qui demandent de rappeler un numéro de mobile surtaxé, continuent à proliférer.

AVEC LE SMS, "ON OSE DAVANTAGE"

Pourquoi un tel succès ? D'abord, tout simplement, parce que le SMS est souvent plus pratique qu'un coup de fil. Il se passe des formules d'usage et va droit au but. Il est parfait aussi pour les timides. Et c'est l'un des moyens les plus sûrs de joindre quelqu'un rapidement. Même en réunion, une réponse rapide est possible. Le SMS est tout particulièrement adapté aux correspondances amoureuses, assure Louise-Amélie Cougnon, linguiste à l'Université catholique de Louvain, en Belgique : "Avec lui, on ose davantage, le locuteur se désinhibe." Certains vont jusqu'à rompre par texto...

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Les tarifs participent aussi beaucoup à ce succès. En France, l'explosion des SMS correspond à l'apparition des forfaits comptant plusieurs centaines de messages, voire des SMS illimités, au milieu des années 2000. Si les Philippines restent le pays au monde qui envoie le plus de textos - 500 en moyenne par mois et par habitant -, c'est aussi parce qu'ils ont été proposés à un prix très modique dès 1995.

Les smartphones ont relancé et modifié l'utilisation du texto, en rendant possibles de véritables conversations par SMS, que le téléphone garde en mémoire. Leur rédaction est devenue plus facile grâce aux claviers azerty. Le temps où, pour former un mot, il fallait taper plusieurs fois sur chaque touche (une fois sur le "2" pour avoir le "a", etc.) semble un lointain souvenir. Le système d'écriture prédictive, dont la fameuse technologie T9 qui suggère des mots en fonction des premières lettres composées, existait déjà avant les smartphones, mais, avec les claviers des téléphones "basiques", il fallait quand même une sacrée dextérité pour arriver à écrire vite et bien...

"COUCOU MA VELLÉITÉ"

Venons-en à la fameuse "écriture SMS", et à sa mauvaise influence supposée sur la langue. Louise-Amélie Cougnon a soutenu une thèse, en septembre, sur "l'écrit SMS". Son travail est l'un des premiers à s'appuyer sur l'étude d'un corpus important de textos : 50 000 messages francophones, collectés en Belgique, en Suisse, au Québec et à La Réunion. Elle constate, il est vrai, que l'orthographe, la grammaire et la ponctuation y sont souvent malmenées. Parmi les "fautes" commises - la jeune femme parle de "variantes" -, elle a souvent repéré de grands classiques : le conditionnel à la place du futur, "j'irais" au lieu de "j'irai", ou l'infinitif pour le participe passé, comme dans "Omar m'a tuer". Le "ne" de la phrase négative est aussi très souvent omis. Mais, "sur l'ensemble du corpus, je n'ai trouvé que 5 % de mots "variants"", relève la chercheuse. Une partie des incorrections sont dues à l'écriture prédictive, qui ne propose pas les bons mots, aboutissant parfois à des messages cocasses : "coucou ma velléité" au lieu de "ma belle" par exemple.

La linguiste rejette en tout cas le discours négatif autour des textos : "Aucune étude scientifique sérieuse ne l'accrédite." Si le SMS prend des libertés avec la langue, c'est avant tout parce qu'il s'agit d'une écriture soumise à de fortes contraintes : il s'écrit vite, sur des petits claviers, souvent en marchant. "On en revient à la fameuse théorie de McLuhan : le message s'adapte à son médium", souligne Michel Feneyrol, l'ex-directeur du CNET.

Louise-Amélie Cougnon préfère parler de créativité. Les SMS sont ainsi truffés de néologismes et de trouvailles engendrées par la volonté de faire court : des apocopes, "poss" pour "possible", des squelettes consonantiques, "tkt" pour "t'inquiète", des acronymes tel le fameux "LOL" pour "laughing out loud", littéralement "mort de rire" ou "mdr" en... "bon français". Sans compter les variations graphiques : "salut tva bi1 ? Mi cava. Tjr pa dmeuf snif. Wé 2m1 stu povè vnir ché mi csrè bi1 mé vieu st pa la. On pora sfèr 1 rèzo diablo2.F1 c com tu vxkwa. Alé bzou couz. A 1 2c4" Traduction : "Salut tu vas bien ? Moi ça va. Toujours pas de meuf, snif. Ouais demain si tu pouvais venir chez moi ce serait bien, mes vieux sont pas là. On pourra se faire un réseau Diablo 2 [jeu d'aventure]. Enfin c'est comme tu veux quoi. Allez bisou cousin. A un de ces quatre"...

"LES JEUNES SAVENT TRÈS BIEN MANIER LES REGISTRES DE LA LANGUE"

Rachel Panckhurst, maître de conférences en linguistique-informatique à l'université Paul-Valéry - Montpellier-III, a récolté, en 2011, un énorme corpus : 93 000 SMS recueillis dans la région Languedoc-Roussillon. Même constat qu'à Louvain, le langage texto promeut de nouveaux codes, comme les "insultes mots doux" : "trop hate de te voir ma greluche !" Certains messages tiennent du hiéroglyphe : "Wesh trkl tkt tu fou quoi ?" ("Wesh, tranquille, t'inquiète, tu fous quoi ?"), l'auteur n'a que 12 ans...

"Les jeunes savent très bien manier les registres de la langue, ils écrivent différemment selon les destinataires des SMS", assure Rachel Panckhurst. Selon la chercheuse, ceux qui jouent le plus avec le langage sont un peu meilleurs en orthographe. "Les gardiens de la belle langue protestent. Néanmoins, le SMS est une manière comme une autre de manipuler la langue. On y utilise beaucoup l'écriture phonétique. Mais elle est à la base de l'apprentissage de l'écrit", affirme Jean-Michel Perronnet, maître formateur à l'institut de formation des maîtres de Créteil. "On n'empêchera pas les jeunes d'écrire des textos, alors pourquoi ne pas utiliser les SMS et s'amuser à les traduire en français classique, par exemple ?", demande le pédagogue.

A rebours, le linguiste Alain Bentolila, qui vient de publier La Langue française pour les nuls (Editions First, 520 p., 22,95 euros), souligne que le SMS est une façon de communiquer entre soi avec un vocabulaire assez pauvre. "Sauf que la langue n'est pas faite pour cela ! La langue et l'écriture sont faites pour la distance, pour s'adresser à celui qui ne vous connaît pas."

Et si tous ces débats étaient déjà vains ? Certains prédisent la fin prochaine du SMS par fusion avec l'e-mail. Il est vrai qu'avec les smartphones, écrire un SMS ou un mail revient désormais presque au même. De nouvelles applications, comme WhatsApp, permettent d'envoyer des messages textes gratuitement sur les smartphones, et même de créer des groupes, sans passer par les opérateurs mobile. Selon une étude récente du cabinet Strategy Analytics, en 2017, les SMS ne représenteront plus que la moitié des messages envoyés depuis les mobiles. "J'attends de voir, ce n'est pas la première fois que j'entends cette histoire de déclin", relève, circonspect, Jean-Michel Huet. Tkt, SMS, tpamr, bon AniVRSR ! (T'inquiète pas, SMS, t'es pas mort, bon anniversaire !)

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