Comme tout ambassadeur en poste, j'ai largement utilisé, au Moyen-Orient ou en Afrique, les moyens traditionnels de notre diplomatie d'influence. J'ai été, comme il se doit, un fervent défenseur de la francophonie et j'ai porté haut nos valeurs dans les pays où je représentais la France.
Avec l'expérience, j'ai pris conscience des contraintes de ces engagements et des difficultés, quelquefois, à les assumer. Ainsi devais-je, par exemple, privilégier l'usage de la langue française au détriment de la défense de nos intérêts économiques ? Fallait-il donc que je renonce à envoyer en formation à Paris des ingénieurs pétroliers d'un pays du Golfe, au motif qu'ils ne parlaient pas la langue de Molière ? Ou encore, s'agissant de la promotion de nos valeurs, devions-nous rester "arc-boutés" sur une application stricte des grands principes démocratiques au risque de nous couper des élites locales ? N'était-il pas préférable parfois de faire preuve de retenue et être tout simplement à l'écoute des cultures et des traditions de ces pays ?
J'ai été amené à travailler dans les grandes enceintes internationales, à Bruxelles ou au niveau des organisations des Nations unies, j'y ai fréquenté des anglo-saxons, diplomates ou hommes d'affaires. Tous, à de rare exceptions près, pratiquaient quotidiennement l'art du lobbying et faisaient de l'intelligence économique ou, devrais-je dire, pour parler français, utilisaient à grande échelle les méthodes du réseautage et du renseignement économique. Peut-on en toute franchise rejeter le principe qui consiste à fédérer les moyens de l'Etat à l'étranger pour assurer la promotion de nos entreprises ? Nos ambassades, nos experts internationaux et même nos militaires en opération ne doivent-ils pas être mobilisés à cet effet ?
L'ENTRETIEN DES RÉSEAUX
La faiblesse de notre expertise à l'échelon européen et international, dans ces lieux où l'on conçoit les réglementations s'appliquant à tous les pays, nous prive de centaines de milliards de contrats dans le cadre des appels d'offres, en matière de développement, des grandes institutions mondiales. J'ai pu constater notre manque de combativité lorsqu'il faut promouvoir notre patrimoine, la créativité de nos équipes ou ne serait-ce que notre portefeuille de brevets. J'ai regretté que l'excellence de nos formations intellectuelles et professionnelles ne soit pas assez appréciée au-delà de nos frontières.
Le constat est là : les Français sont réticents à s'investir dans l'entretien des réseaux. Perçue à tort comme un travail ingrat, voir peu valorisant, cette entreprise qui consiste à faire fructifier nos talents à l'étranger est pourtant indispensable pour notre rayonnement. Bon nombre de pays concurrents y consacrent des moyens considérables et investissent sur le long terme alors que la France fait preuve en la matière d'une frilosité préjudiciable à nos intérêts. Nous ne pouvons que nous en prendre à nous même si nous préférons occuper des postes de premier plan dans les institutions internationales plutôt que rechercher des emplois de gestionnaires qui sont déterminants pour la mise en place de ces appels d'offres et pour l'élaboration des normes. Ou encore quand nous laissons prospérer à Bruxelles les cabinets de lobbying dont bien peu sont français. Il en est de même des think tanks, ces laboratoires qui ne véhiculent pas assez nos idées.
Nous tenons là les clés d'une diplomatie d'influence plus efficace alliant nos moyens traditionnels qui ont fait leurs preuves, à une approche pragmatique tenant compte des réalités internationales et de la nécessité de renforcer le lien entre le secteur économique et l'administration.
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