Le blé est-il un banal "produit financier" ? Alors que la France, dans le cadre de sa présidence du G20, tente de trouver des remèdes à la spéculation qui empoisonne, selon elle, le marché des matières premières en faisant s'envoler les cours, l'Association française des marchés financiers (Amafi) s'immisce dans le débat.
L'organisation, qui regroupe des professionnels de la finance, a remis mercredi 26 janvier au gouvernement de Nicolas Sarkozy un rapport pour faire part de ses recommandations afin de mieux réguler ces marchés.
Le document de 48 pages, dont Le Monde a eu copie, évite soigneusement de donner un avis tranché sur l'importance de la spéculation. L'action des fonds spéculatifs et d'autres acteurs financiers est-elle coupable ou non de faire flamber les prix du blé du sucre ou du cuivre ? Ce travers existe sans doute mais "n'est pas le cœur du problème", explique Pierre de Lauzun, délégué général de l'Amafi. "Il ne faut pas se tromper d'objectif", ajoute-t-il.
AMBITION ET MODESTIE
Que la dérive de la finance représente l'"écume de la vague" ou davantage, ne remet pas en cause la nécessité de réguler un marché qui manque cruellement de transparence et d'organisation. "Les marchés ne peuvent se développer harmonieusement et servir avec efficacité les agents économiques à la recherche de financement, de placements ou d'instruments de couverture de leurs risques [produits financiers comparables à des contrats d'assurance pour se protéger des hausses et baisses de cours] qu'en étant soumis à certaines règles", indique le rapport.
Comment procéder ? La "tâche est dantesque", prévient M. de Lauzun, mais pas impossible. L'Amafi propose avant tout une méthode et recommande d'être à la fois "ambitieux et modeste". Ambitieux car si le sujet est inscrit à l'agenda du G20, il doit inclure d'autres pays dans les discussions, comme le Nigeria, acteur important sur le marché du pétrole, ou le Chili, pays riche en cuivre. Modeste pour savoir que la régulation ne sera pas parfaite car la matière est très complexe. Plus encore que les marchés boursiers. "Une action Peugeot est identique à une autre action Peugeot alors qu'il y a des dizaines de sortes de riz différents", souligne M. De Lauzun.
Compte tenu de l'ampleur du travail, l'Amafi préconise d'abord de confier au Conseil de stabilité financière la responsabilité de piloter cette mission. Sous son égide il s'agira d'identifier les matières premières essentielles. Celles qui sont "indispensables à la satisfaction d'un besoin humain vital" ou qui revêtent une importance stratégique pour une économie nationale. Ces denrées alimentaires, ces métaux ou ces produits énergétiques devront faire en priorité l'objet de l'attention des régulateurs.
IDENTIFIER ET RÉPRIMER LES ABUS
L'enjeu est ensuite de parvenir à identifier avec clarté l'offre et la demande sur ces marchés source principale des déséquilibres actuels. Aujourd'hui, un acteur en détenant une importante quantité des stocks peut manipuler les prix et déstabiliser tout un système. Il faut donc avoir une vision limpide de qui détient quoi et avoir une idée des masses critiques en créant par exemple de grande chambre d'enregistrement.
L'Amafi suggère ensuite de donner aux régulateurs des outils pour identifier les abus de marchés et les moyens d'actions pour les réprimer. Comme de limiter les prises de positions. S'il n'est pas question d'interdire la présence de financiers qui permettent bien souvent de fluidifier le marché, il est question d'éviter les comportements qui contribuent, volontairement ou non, à déstabiliser le système. De la sorte, Anthony Ward, dit "Chocfinger", qui est s'approprié la plus grande partie des stocks européens de cacao pour 1,2 milliard de dollars (887 millions d'euros) en juillet 2010, aurait peut-être été neutralisé…
Seul bémol : les régulateurs ad hoc n'existent bien souvent pas ou pas encore. Si certains marchés sont déjà organisés, comme la Bourse des matières premières de Chicago, ailleurs certains produits s'échangent dans la plus grande opacité. Aussi "il est nécessaire d'identifier les organes de régulation qui auront l'autorité et la compétence suffisantes", indique Pierre de Lauzun. Il y a urgence.
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