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Le racisme envahit l'espace politique

La tâche de nos responsables politiques et de chacun de nous, c'est de construire des projets qui nourrissent l'imaginaire et non de créer ou d'attiser la haine.

Publié le 21 mars 2011 à 09h34, modifié le 24 mars 2011 à 10h21 Temps de Lecture 5 min.

De plus en plus ouvertement, le racisme envahit l'espace politique. Je ne veux pas ici évoquer le Front national mais bien une partie de la droite parlementaire et, à un moindre niveau, une partie de la gauche. L'accueil enthousiaste réservé par l'UMP aux suggestions d'Eric Zemmour de supprimer la législation antiraciste (et de supprimer aussi les maigres subventions aux associations…) est révélateur de ce qui n'est plus la dérive de quelques-uns mais une lame de fond.

L'accusation portée contre un potentiel candidat socialiste aux élections présidentielles de vivre à l'étranger et de ne pas ressembler à ceux et à celles qui peupleraient nos "terroirs", sans compter qu'il dirige une institution financière mondiale, n'est pas neutre. Et ce n'est pas faire preuve de terrorisme intellectuel que de constater que cette conjugaison entre argent et déni de loyauté et d'appartenance nationale rappelle les plus anciens stéréotypes antisémites. Quant aux musulmans, de lois stigmatisantes en questionnement sur la compatibilité de leur foi avec la République ou plus radicalement avec la nationalité française, ils sont devenus l'objet principal d'une rhétorique d'exclusion.

Voici qu'utilisée par ceux là-même qui, jusqu'à aujourd'hui, au mieux l'ignoraient, au pire la combattaient, la laïcité est détournée de son sens pour exiger de quelques millions de citoyens français, déjà souvent soumis au talon de fer social, qu'ils répudient leur religion pour être acceptés dans la communauté nationale. Nul n'est exempt de ce mal qui vient de loin. En 2005, la campagne présidentielle avait déjà fixé le cap avec la création du ministère de l'identité nationale et de l'immigration et l'appropriation par Nicolas Sarkozy de la vulgate d'extrême droite. Qui se souvient que dès juillet 2005, dans son discours aux ambassadeurs, le même Nicolas Sarkozy opposait, fût-ce pour en prévenir la guerre, "l'islam à l'Occident" ?

Qui se souvient qu'en mars 2006, était publié un manifeste, signé par de brillants intellectuels, qui, ne rechignant pas devant l'emphase, postulaient "qu'après le fascisme, le nazisme et le stalinisme", l'horizon du monde était oblitéré par "l'islamisme" ? Puis ce fût la xénophobie érigée en politique d'Etat, assimilant étrangers à la délinquance, à la polygamie, aux ghettos de banlieues, à cette invasion toujours brandie comme une menace et jamais survenue.

Vint ensuite le glissement inévitable des étrangers à ceux qui leurs ressemblent, entendons les demi-français. C'est ainsi que le 8 décembre 2009 Nicolas Sarkozy, sous prétexte de tolérance, fait des musulmans français des étrangers qu'il faut "accueillir" dans leur propre pays. Assignés à résidence communautaire, ils sont toujours désignés par leur origine (immigrés de la deuxième, troisième ou, bientôt, quatrième génération) ou par leur appartenance religieuse. Et que dire des préoccupations d'un ancien responsable du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) qui s'inquiète de la fécondité des femmes musulmanes de France et d'ailleurs ? Le débat sur l'identité nationale s'est inscrit dans la même logique, celle qui fige la France dans une geste immuable aux racines judéo-chrétiennes (mais plus chrétiennes que juives…).

Il a entraîné un tel défoulement contre les étrangers et les musulmans, réunis dans la même vindicte, que l'on sentait bien qu'il s'agissait de la dernière étape avant que le débat public ne sombre dans l'inacceptable. Nous y sommes. Les musulmans français ou pas sont sommés de faire leur examen de conscience et de répondre de nos peurs collectives. Que celles-ci soient bien réelles, et il en est de nombreuses, ou qu'elles soient du domaine de l'imaginaire, n'autorisent pas à les exploiter pour en rendre responsable une religion et ses adeptes. C'est pourtant ce que signifie le débat engagé par l'UMP, officiellement sur la laïcité, en réalité sur la compatibilité de l'islam et de la République, contredisant par là tous les principes de la laïcité.

Faut-il s'étonner dès lors de la cécité qu'a montré la diplomatie française face aux événements qui secouent le monde arabe ? Les discriminations que supportent ici les français musulmans expliquent aussi le mépris du gouvernement français à l'égard de ces "gueux" en révolte là-bas.

RELATION D'EMPATHIE

Et puisqu'en ces temps de salmigondis de la pensée, il faut aller jusqu'à dire l'évidence sauf à être suspecté de tous les maux, l'exigence naturelle d'une égalité des droits au profit des musulmans, la critique justifiée des discriminations qu'ils subissent n'impliquent en rien un renoncement à l'un quelconque des principes de la République ou de changer la loi de 1905 et encore moins la prétention à un régime dérogatoire. L'égalité des droits, le droit commun suffisent.

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Mais pour que cette égalité prospère, il faut que s'allume cette lumière qui nous permet de voir dans l'Autre notre propre image, notre propre voix, qui nous permet de le reconnaître dans la même humanité que la nôtre. Le regard que l'on porte peut être celui de la part d'humanité qui nous est commune, il est aussi, c'est ô combien plus facile, l'exacerbation d'une altérité qui serait irréductible. Entre ces deux prismes, s'inscrit l'opposition, elle irréductible, entre l'empathie et le rejet comme point de départ de la relation qui se créée.

Je ne peux vivre sans cette relation d'empathie a priori. Je refuse de m'inscrire dans cette perception des différences qui font d'elles le début et la fin de toute relation humaine. Je ne peux vivre dans la méfiance permanente de l'Autre qui peu à peu s'étend naturellement au plus proche au point de ronger tous les rapports sociaux pour les transformer en concurrence. Et c'est parce que cette empathie nous est aujourd'hui servie, par ceux qui en sont exsangues, comme une tare qui détruirait notre cocon national que nous allons mal. Le génie dont on peut assurément créditer le peuple de France, c'est d'avoir compris, dès 1789, que la négation des droits d'un seul homme était la seule cause des malheurs publics et de la corruption des gouvernements.

La tâche de nos responsables politiques et de chacun de nous, c'est de continuer dans cette voie. C'est donc de construire des projets politiques qui nourrissent l'imaginaire et non de créer ou d'attiser la haine. Il est temps de le dire fortement : ceux et celles qui, incapables d'entendre la souffrance de tous et se perdent dans les querelles personnelles, n'éviteront pas la sanction de leur renoncement. Ceux et celles qui nous entraînent dans cette course à l'abîme, qui usent du racisme et de l'antisémitisme comme arme politique, perdent toute légitimité et légitiment la révolte.

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