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"C'est d'ici, de l'Unesco, que je dépose entre vos mains ma démission"

La lettre de démission de l'ambassadeur de Tunisie auprès de l'Unesco Mezri Haddad.

Publié le 14 janvier 2011 à 17h44, modifié le 17 janvier 2011 à 10h36 Temps de Lecture 4 min.

Le Monde reproduit la lettre de démission envoyée par l'ambassadeur de Tunisie auprès de l'Unesco, Mezri Haddad.

Monsieur le président de la République Zine El-Abidine Ben Ali,

Lorsque vous m'avez appelé au téléphone lundi dernier, le 10 janvier à 11 h, pour avoir mon avis sur la situation que traverse notre pays, j'ai été comme toujours sincère avec vous en vous disant que la solution est entre vos mains, à vous seul.

Je vous ai demandé de vous adresser de nouveau à la nation, mais pas comme vous l'aviez fait dans votre premier discours. Je vous ai prié et supplié d'arrêter le bain de sang en désarmant la police. Je vous ai dit que le limogeage du ministre de l'intérieur et son remplacement par un homme compétent, démocrate et au-dessus de tous soupçons, n'aura aucun impact tant qu'il y aura encore des morts.

Je vous ai dit que les manifestants ne sont pas contre vous mais contre l'oligarchie dont vous êtes devenu l'otage et qui n'a pas cessé de piller les richesses du pays, de rançonner les honnêtes gens qui font la prospérité économique de la Tunisie, d'outrager les investisseurs étrangers dont notre économie nationale dépend.

Je vous ai promis qu'en échange de cette mesure de salut public, je continuerai à m'exposer alors que les autres se terrent, à vous défendre, parce que vous êtes le président de la République et le garant de la permanence de l'Etat dont l'absence risque de plonger la Tunisie dans le chaos que certains souhaitent et que tout le monde redoute.

Je vous ai fait le serment que ma loyauté sera sans faille, que je sacrifierai au besoin mon autorité intellectuelle si vous faites preuve d'humanisme et que vous saisissez le message de notre jeunesse avant que celle-ci ne soit sous l'emprise des appels intégristes.

Alors que vous auriez pu me raccrocher le téléphone au nez, vous m'avez dit de continuer. Et cela a renforcé ma motivation de vous en dire davantage, sans autres considérations et de vous dire que, par-delà cette mesure morale et politique décisive et salutaire qui ramènera la paix civile – désarmer la police – il faut transformer cette police de sécurité en police de proximité, et parce que les maux sont si profonds, vous devez écarter ceux parmi vos conseillers qui ont mené le pays à ce désastre.

Je vous ai demandé de vous affranchir de l'influence pernicieuse de Abdelwahab Abdallah et de son fils spirituel Oussama Romdani, non parce qu'ils m'ont poursuivi de leur vindicte depuis onze longues années, mais parce qu'ils sont à l'origine de la pavlovisation et de la soumission de la presse écrite et audiovisuelle en Tunisie, de la marginalisation de notre élite intellectuelle, de la dégradation de l'image de notre pays dans le monde.

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Je vous ai demandé d'écouter nos amis français parce que la France a toujours été notre alliée indéfectible.

Je vous ai suggéré à la tête du ministère de l'information, de placer Slaheddine Maoui et de l'ATCE, Fethi Houidi et de n'écouter et faire confiance qu'à Mohamed Ghannouchi et Kamel Morjane. Il faut recevoir au palais, aux vus et aux su de tout le monde, Ahmed Néjib Chebbi et Mustapha Ben Jaffar, les deux seuls hommes politiques présents à Tunis, capables de relever le défi majeur que vous êtes en mesure de leur proposer et qui éviterai à notre pays le pire. Il faut écouter ces deux hommes dont je connais l'honnêteté et la sincérité, écouter ce qu'ils ont à vous dire en bons républicains et authentiques patriotes.

Il faut enfin annoncer six actes forts :

- L'arrestation des malandrins et prédateurs encore présents sur le sol tunisien, notamment Imed et Belhassen Trabelsi.

- La déclaration d'une amnistie générale et du retour des exilés politiques.

- L'allègement des souffrances des pauvres et des victimes de la paupérisation par des mesures concrètes.

- L'autorisation d'entrée en Tunisie à tous les correspondants de la presse étrangère.

- La mise en place d'une caisse d'allocation chômage dont le financement pourrait se faire par la contribution de ceux qui se sont suffisamment enrichi pour donner maintenant aux pauvres et aux chômeurs.

- L'abolition de la peine de mort en Tunisie, que je n'ai pas cessé de vous demander depuis 2000, que vous étiez sur le point de réaliser en 2001 après l'étude que je vous ai remise.

J'ai écouté votre discours émouvant d'hier. Notre bon peuple, qui est suffisamment sage et suffisamment mur pour la démocratie, saura raison garder et l'élite politique tunisienne toutes tendances confondues à l'exception des extrémistes de tout bords, saura saisir cette occasion pour construire, tous ensembles, un avenir à la mesure des aspirations légitimes de notre peuple.

C'est d'ici, de l'Unesco, le temple de l'éducation, de la culture, de la tolérance, de la liberté de pensée et de l'humanisme – toutes ces valeurs pour lesquelles je me suis toute ma vie battu –, que je vous adresse solennellement cette lettre et que je dépose entre vos mains ma démission.

Si vous la refusez, cela signifierai pour moi que, désormais, je servirai un Etat démocratique. Si vous l'acceptez, ce serait pour moi une délivrance et pour vous une déchéance. J'affronte ainsi mon destin, comme vous affrontez le votre et comme notre chère Patrie affronte le sien.

Que la Providence préserve la Tunisie de l'affliction anarchiste et de l'abjection intégriste. Vive le peuple tunisien, Vive la Jeunesse tunisienne, Vive la République laïque.

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