Le spectacle s'appelle Le Cabaret des vanités, et il est à découvrir, du 5 au 11 février, au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Comme son titre l'indique, il entend se moquer de nos petites vanités contemporaines, en jouant avec des citations piochées aussi bien chez Gilles Deleuze que chez François Pinault, Daniel Balavoine ou Paris Hilton. Ses auteurs et interprètes sont les membres du groupe Incognito, un jeune collectif à la recherche d'une autre façon de fabriquer du théâtre, comme il en fleurit de nombreux en ce moment.
Au Théâtre de l'Aquarium, à Paris, on peut voir, jusqu'au 6 février, Foucault 71, une trilogie bienvenue sur le philosophe Michel Foucault, jouée uniquement par des filles, qui forment le collectif F71. Robert Plankett, la création de La Vie brève, qui a fait le plein jusqu'au 29 janvier, au Théâtre de la Cité internationale, à Paris, en parlant de la mort d'un proche, reprend les 4 et 5 février au Théâtre de Vanves (Hauts-de-Seine). Dans le même théâtre, Les Chiens de Navarre ont présenté, en début d'année, Une raclette, un dîner grunge entre amis, qui passera au Centre Pompidou du 17 au 19 mars.
Si les histoires qu'ils racontent, leurs esthétiques et leur jeu sont différents, tous ces collectifs ont en commun de faire souffler un sacré vent d'air frais sur le théâtre. C'est d'ailleurs leur raison d'être. Ils veulent trouver une autre voie pour exprimer ce qu'ils ont à dire, en se démarquant des modes de production et de création habituels.
En soi, le phénomène n'est pas nouveau. Les collectifs ont toujours existé. Ce qui est nouveau, c'est la façon dont ceux de cette nouvelle génération s'inscrivent dans le paysage. A la différence de leurs aînés des années 1970 qui étaient portés par un discours politique, ils se glissent plus volontiers dans une réflexion sur la société. Avant tout, ils sont motivés par le désir du "vivre-ensemble".
Prenez les filles du F 71. Elles sont cinq, dont quatre ont fait le conservatoire. Ce ne sont pas des actrices sans emploi : elles jouent dans de bons spectacles, dirigent des ateliers. "Mais, explique Stéphanie Farison, le contexte économique nous oblige à inventer. Il est beaucoup plus difficile que celui de nos grands aînés. Le collectif permet de mutualiser les moyens de production, sans empêcher chacune de jouer de son côté, par ailleurs." Que leur collectif soit uniquement féminin est le fruit du hasard : il est né après un comité de lecture qui les a réunies et leur a donné envie de travailler sur Michel Foucault.
Elles auraient pu s'assurer le concours d'un metteur en scène extérieur, mais ne l'ont pas fait. Comme beaucoup d'actrices et d'acteurs de leur génération, elles ne remettent pas totalement en cause sa fonction, mais cherchent à la "déplacer, en considérant la mise en scène du point de vue des acteurs". Pour les trois spectacles consacrés à Foucault, et joués soit en alternance, soit d'affilée, elles ont donc tout fait collectivement, de l'écriture au jeu, de façon que s'exprime non pas un point de vue dominant, mais cinq.
Un même désir traverse le groupe Incognito, qui s'est formé à l'école du Théâtre national de Strasbourg (Bas-Rhin), à l'issue d'un stage sur "l'autonomie de l'acteur". Guillaume Durieux, l'un des treize du groupe, précise qu'"avec le travail collectif, le spectacle n'appartient à personne, à la fin. Ce processus permet de révéler nos différences et de les confronter".
Chez Les Chiens de Navarre, le processus pousse la liberté jusqu'au bout. Cette bande d'amis dans la vie s'est érigée en collectif dans le travail afin de "faire ce qu'on nous avait dit de ne jamais faire, selon Jean-Christophe Meurisse. On ne cherche pas à montrer qu'on sait jouer ni même à jouer bien. On veut montrer qu'en étant devant les spectateurs dans l'immédiateté, on remplit une fonction".
Ce n'est pas un hasard si Les Chiens de Navarre, avec Une raclette, et La Vie brève, avec Robert Plankett, ont trouvé un lieu d'accueil au Théâtre de Vanves (Hauts-de-Seine). Son directeur, José Alfarroba, est attentif à tout ce qui s'invente, comme l'est Christian Benedetti, le directeur du Théâtre-studio d'Alfortville (Val-de-Marne), où souvent répètent et jouent les collectifs.
S'ils sont dans l'institution, ces deux théâtres de banlieue cultivent les marges et l'entraide, avec les moyens du bord. Ils sont en adéquation avec la "communauté de pensée" qui guide les collectifs et que résume bien Samuel Vittoz. Comédien dans Robert Plankett, il a créé, en 2009, un festival passionnant à Villeréal, village du Lot-et-Garonne, où se retrouvent des compagnies comme La Vie brève qui veulent "sortir des cadres et avoir une action directe, au contact de la réalité". Samuel Vittoz et ses amis se retrouvent dans les écrits d'Edgar Morin sur la pensée complexe : ne pas unifier, mais laisser émerger les singularités. Dans le contexte d'aujourd'hui, où le système centralisé et pyramidal montre ses failles, c'est une belle utopie.
Foucault 71, Théâtre de L'Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e. Tél. : 01-43-74-99-61. Jusqu'au 6 février. De 10 € à 20 €. Theatredelaquarium.net
Robert Plankett, Théâtre de Vanves, 12, rue Sadi-Carnot, Vanves (Hauts-de-Seine). Tél. : 01-41-33-92-91. Vendredi 4 et samedi 5 février, à 21 heures. De 12 € à 15 €. Theatre-vanves.fr
Le Cabaret des vanités, Théâtre de la Commune, 2, rue Edouard-Poisson, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Tél. : 01-48-33-16-16. Jusqu'au 11 février. 24 €. Theatredelacommune.com
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