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Pour une autre politique de l'art

Ne pas réduire le débat au financement

Publié le 06 août 2011 à 13h25, modifié le 08 août 2011 à 10h21 Temps de Lecture 4 min.

Je suis présent depuis longtemps sur les scènes publiques. J'ai désormais la charge de l'une de leurs institutions. A Frédéric Mitterrand qui m'a fait l'honneur de me nommer directeur des Tréteaux de France il y a quelques semaines, comme à mes concitoyens dont les impôts et la participation volontaire (le prix des places) financent cette aventure unique en son genre dans la décentralisation théâtrale, je veux dire mon engagement.

Je me suis porté candidat au nom d'une conviction : création, transmission, formation, éducation populaire peuvent se conjuguer, se réinventer ensemble.

Avec mon équipe, nous la ferons vivre et partager partout où des réponses surgiront aux appels à projets que nous lancerons. Nous chercherons à "faire avec", plus qu'à "diffuser" au sens habituel du mot. Notre principe d'action est simple à énoncer : affirmer les singularités des territoires, les armer par l'écriture et le théâtre, les faire dialoguer par la circulation des oeuvres. Agir, produire. Ensemble, dans un retournement de l'aliénation d'aujourd'hui qu'est le tout-consumérisme.

Ce désir de "faire avec" me fait exprimer une déception. Ce que nous avons entendu et lu ces dernières semaines nous laisse nombreux sur notre faim. La dimension budgétaire est déterminante, mais elle ne saurait être le pivot de nos raisonnements. Elle ne répond pas aux questions posées par l'art et la culture aujourd'hui.

Oui, il faut des moyens nouveaux, mais ils ne prendront sens que si nous engageons une réforme ambitieuse de nos objectifs et de nos actions. Le sens, là est la question majeure.

Y répondre impose un changement radical de logique. On ne rejette pas André Malraux en disant que "rendre accessibles au plus grand nombre (...) les oeuvres capitales de l'humanité" ne peut plus être le paradigme des politiques publiques de la culture en ce début de XXIe siècle.

Affirmer que notre rôle est de faire face au déferlement des "produits" des industries du signe et de leur consommation forcenée est réducteur, mystificateur même. L'enjeu est bien plus complexe. Comme à chaque mutation importante des techniques et des technologies, il nous faut nous saisir avec force de ce qui, à première et courte vue, nous inquiète.

Les moyens technologiques dont nous disposons façonnent et façonneront encore de profondes mutations de nos rapports personnels et sociaux aux symboles, et de notre potentiel individuel et collectif de production de ces symboles. Le défi d'aujourd'hui est de même nature que celui auquel, en son temps, Jules Ferry a invité la République à répondre.

L'éducation artistique et culturelle est un enjeu central de notre temps. La "société de la connaissance" ne se construira pas sans une exigence de pratique. Former les enseignants et non pas fermer les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), impliquer les artistes et les institutions culturelles dans des formations croisées. Enseigner l'histoire de l'art ne répond pas aux exigences du "partage du sensible", selon l'expression du philosophe Jacques Rancière. L'histoire de la natation apprend-elle à nager ?

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L'historien Roger Chartier écrivait ici même il y a vingt ans : "Il y a quelque chose de pathétique à vouloir dresser une digue étanche, infranchissable, entre les études et les oeuvres dont se délectent "les amateurs habituels des choses de l'esprit" et les "pratiques culturelles" du plus grand nombre, alimentées par le marché des loisirs. Le lien qui les unit (...) réside dans la trajectoire même qui donne leur sens aux oeuvres les plus puissantes" ("Pas d'oeuvre sans pratique", Le Monde du 26 septembre 1991).

Il ne s'agit plus d'"accès" aux oeuvres. Il faut faire en sorte que "les oeuvres oeuvrent" comme le dit joliment le philosophe Bernard Stiegler. Parlons de création partagée, d'appréhension individuelle et collective, de contribution populaire. Sortons des oppositions bien peu innocentes entre une culture "populaire" et une autre qui ne le serait pas. Refusons l'opposition caricaturale entre professionnels et amateurs.

Le discours sur l'intimidation est un piège. Il conforte le "ce n'est pas pour moi" trop souvent entendu. Ces mots signifient surtout que nous ne savons plus converser avec ceux de nos concitoyens que nous stigmatisons en les qualifiant d'"éloignés de la culture". En son temps, Jean Vilar a inventé une place pour le spectateur en affirmant sa dignité, son potentiel et son rôle. Réinventons cela dans notre contexte, les budgets suivront.

Ma propre "entrée en théâtre" et l'aventure de l'Association des rencontres internationales artistiques (ARIA) que j'ai engagée en Corse il y a quatorze ans me le démontrent au quotidien : "Pas d'oeuvre sans pratique." Le rapport à l'art, la construction culturelle de soi passent par la pratique, par une relation sensible, développée et valorisée dès le plus jeune âge. La formation est le contrepoison du court-termisme.

La pensée unique régnante juge la dépense publique perverse et improductive. Là est l'impasse. Il nous faut une action publique forte. Réhabilitons l'impôt, il en est la condition. Bâtissons une fiscalité équitable. Confrontons nos ambitions professionnelles au regard critique et aux attentes de nos concitoyens. En rénovant le sens et les méthodes, nous retrouverons le "consentement à payer" sans lequel il ne peut pas y avoir d'action publique.

Pensons autrement nos politiques de l'art et de la culture et la façon de les écrire. Tissons de nouvelles relations entre l'Etat, les collectivités territoriales, les professionnels, les citoyens. L'expérience est déjà tentée par la région Pays de la Loire. Cherchons à l'élargir. Définissons collectivement nos ambitions, donc les moyens à réunir. Faisons-le territoire par territoire, et, en même temps, au niveau de la nation tout entière. Dans le respect de notre histoire et de nos principes fondateurs. L'avenir dépend de notre capacité à renouveler notre culture de l'action publique.

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