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Jean-Christophe Lafaille, alpiniste français

Le "funambule des 8 000" a disparu, jeudi 26 janvier, près du sommet du Makalu (8 463 m), dont il tentait la première ascension solitaire en hivernale.

Par Charlie Buffet

Publié le 06 février 2006 à 13h58, modifié le 14 avril 2006 à 15h55

Temps de Lecture 4 min.

Comme tous les alpinistes français qui s'y sont essayés, Jean-Christophe Lafaille n'aura pas été au bout de sa quête des "quatorze 8 000". Il a disparu jeudi 26 janvier près du sommet du Makalu (8 463 m), dont il tentait la première ascension solitaire en hivernale (Le Monde des 30, 31 janvier et 1er février). Samedi 4 février, sa femme et manager sportif a survolé la montagne en hélicoptère et affirmé qu'il n'y avait "plus d'espoir" de le retrouver vivant.

Né le 31 mars 1965, à Gap (Hautes-Alpes), Jean-Christophe Lafaille devait peut-être à son gabarit de sherpa (1,60 m) une aisance extraordinaire en haute altitude, et sûrement la rage de s'affirmer, comme une revanche sur ces copains de classe, qui l'avaient surnommé "le Raton". Ce surnom ingrat enterré, il était "Jean-Chri" ou "Jici" pour ses amis américains : d'une gentillesse simple, habité, consumé par sa passion des grands sommets, l'accent légèrement chantant, un peu trop distant ces dernières années aux yeux de ceux qui l'aimaient.

Jean-Christophe Lafaille avait gravi onze 8 000 de belle manière, toujours sans oxygène, souvent en solo, s'inventant des challenges qui impressionnaient la communauté des alpinistes : enchaînement solitaire des deux Gasherbrum (1996), immense chevauchée aérienne vers le sommet de l'Annapurna (2002), solitaire hivernale au Shisha Pangma (2004). Son baptême himalayen avait été une initiation traumatique, de celles qui tuent, écoeurent ou font le destin d'un Bonatti ou d'un Messner (ses maîtres, dont les livres ont nourri son adolescence).

Grimpeur depuis l'âge de 7 ans, Lafaille fut d'abord un as de l'escalade sportive, engagé dans le circuit des compétitions. Jeune guide, il venait de faire, avec brio, ses débuts dans le grand alpinisme quand, en octobre 1992, Pierre Béghin l'invita pour une expédition légère dans la face sud de l'Annapurna. Avec ce "grand frère", Jean-Christophe Lafaille découvrait brutalement la démesure himalayenne, une paroi gigantesque, haute de 3 km, large de 10, que deux hommes seuls affrontaient en "style alpin", sans oxygène ni camps d'altitude : sans cette rassurante "ligne de vie" entre ce monde-là et le nôtre.

A 7 100 mètres d'altitude, un ancrage de rappel a lâché, Pierre Béghin est tombé sous ses yeux. Seul, sans corde ni matériel, Lafaille a désescaladé la paroi, cinq jours durant, la peur au ventre, le bras brisé par une pierre. Il aura démontré, dira Reinhold Messner, "la capacité à survivre qui fait les plus grands alpinistes". Jean-Christophe Lafaille aurait eu 41 ans le 31 mars, l'âge qu'avait Pierre Béghin au moment de sa disparition.

De l'Annapurna il était revenu blessé, physiquement et moralement : infection osseuse, infection de l'esprit. Il lisait dans le regard de ses pairs le reproche (infondé) d'être responsable de la mort du meilleur d'entre eux. Il lui faudra un an pour revenir en Himalaya et réussir son premier 8 000, mais dix ans pour se libérer de cette culpabilité du survivant, dix ans ponctués de retours vers la montagne qui le hantait, racontés dans un livre, Prisonnier de l'Annapurna (éd. Guérin, Chamonix, 2003).

Le 16 mai 2002, Jean-Christophe Lafaille est donc au sommet de sa montagne. Annapurna, 8 091 m. "Un cri profond de joie me sort de la poitrine", écrira-t-il, et il pleure tant l'émotion est forte, pensant à Pierre Béghin. Le moment est lourd de symboles, à son côté le Basque Alberto Inurrategi étreint le piolet de son frère, mort deux ans plus tôt sous une avalanche. Inurrategi foule son quatorzième 8 000, Lafaille y pense désormais. Sa femme, Katia, l'a convaincu l'année précédente de viser cette collection qui lui ressemblait peu, prenant en mains sa communication, sa préparation et sa destinée d'alpiniste.

Désormais, Lafaille pense "quatorze" avec son "manager sportif", qui "optimise et valorise ses performances auprès des médias", filtre ses coups de fil et gère son emploi du temps, le libérant de tout autre souci que ses ambitions d'alpiniste. Cette nouvelle approche semble d'abord réussir. L'été 2003, Lafaille enchaîne trois 8 000 en deux mois. Dhaulagiri, Nanga Parbat, Broad Peak, une trilogie exécutée dans un style "pressé".

Réussite ou signal d'alarme ? Au Broad Peak, Jean-Christophe Lafaille a été victime d'un oedème pulmonaire ; il s'est laissé distancer à la descente, est tombé dans une crevasse, n'a dû qu'à sa technique infaillible de s'en sortir. Le soir, il agonisait dans sa tente ; Katia, du camp de base, lui a ordonné de redescendre.

Lafaille était conscient des risques qu'il prenait à "pousser la barre de plus en plus haut", mais l'appel de l'altitude, son "art", sa "drogue", était le plus fort. Le funambule ne quitterait pas son fil. Il racontait les yeux brillants comment, là-haut, il se sentait le maître du monde. Il s'était confié à son éditeur, Michel Guérin : "Tu es tout petit ; grâce à tes ressources mentales, tu maîtrises le truc sur une énormité géologique ; c'est jouissif."

Des solos en hiver : Lafaille avait placé la barre encore plus haut. En décembre 2004, il était retourné au Shisha Pangma, déjà gravi dix ans auparavant. L'ascension était parfaitement préparée, mais jamais Jean-Christophe Lafaille ne semblait avoir tenu un succès aussi aléatoire. Au Makalu, plus haut de 400 mètres, la marge était plus étroite encore.

Jean-Christophe Lafaille avait deux enfants. Tom, 5 ans, à qui il avait dédié sa voie au Nanga Parbat, et Marie, 12 ans, d'un premier mariage. Marie, dont un sommet népalais porte le nom pour que personne ne l'oublie.

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