Sa dernière apparition sur une vidéo de propagande remontait à septembre 2018. Une nouvelle fois, il menaçait « la France chrétienne », avertissant que « tout ce que tu nous fais ne fera que nous encourager à continuer sur le chemin du djihad ». Jeudi 21 février, Djamel Okacha, alias Yahya Abou Al-Hammam, « chef de l’émirat de Tombouctou », a été tué au Mali par Barkhane, la force antiterroriste française déployée au Sahel. Il était émir adjoint de la Jama’at Nusra Al-Islam wa-l-Muslimin (JNIM, ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) qui regroupe plusieurs mouvements affiliés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Le communiqué du ministère des armées se félicite de cette « action spectaculaire [qui] concrétise des années de recherche ». Yahya Abou Al-Hammam, tué au nord de Tombouctou, était depuis quelque temps déjà l’une des deux cibles djihadistes « de haute valeur » recherchées par l’armée française au Sahel, au côté d’Iyad Ag-Ghali, le chef du JNIM.
« C’était une figure centrale du djihad au Sahel depuis vingt ans, explique Andrew Lebovich, chercheur américain associé au Conseil européen des relations internationales. A la fois chef militaire et stratège, une figure rassembleuse entre les différents mouvements djihadistes. » Dans son communiqué, la ministre française des armées, Florence Parly, le décrit comme « le concepteur et le financier de nombreuses attaques contre les valeurs et intérêts communs que nous partageons et défendons avec les pays du G5 Sahel : le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ».
Tombouctou, ville laboratoire
C’est en Algérie, où il est né en 1978 à Réghaïa (est d’Alger), que Djamel Okacha fait d’abord parler de lui. En 1995, il purge plusieurs mois de prison pour ses liens présumés avec le Groupe islamique armé (GIA), avant de rejoindre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) dès sa création, trois ans plus tard. En 2003, sous la pression de l’armée algérienne qui traque ses membres, il accompagne le redéploiement du GSPC dans le nord du Mali et participe à l’implantation puis au développement d’Al-Qaida au Maghreb islamique dans tout le Sahel.
En 2012, alors que la coalition des indépendantistes touareg et des djihadistes contrôle la moitié du Mali, il est nommé « gouverneur de Tombouctou » par Abdelmalek Droukdel, l’émir d’AQMI et ex-chef du GSPC. Cette ville est alors le laboratoire du nouvel ordre islamique qu’Al-Qaida et ses alliés tentent d’imposer dans la région.
« Abou Al-Hammam a servi à pratiquement tous les niveaux de la hiérarchie d’AQMI, écrivait en janvier Alex Thurston, professeur à l’université Miami dans l’Ohio. Il a ainsi connu tous les hauts et les bas du groupe, et tout particulièrement dans le champ politique au Mali. » A ce titre, aux côtés d’Abou Zeïd, d’Iyad Ag-Ghali et de Mokhtar Belmokhtar, il a connu l’apogée des conquêtes djihadistes au Mali en 2012. Et puis la chute : l’effondrement de leur projet de maîtrise territoriale provoqué par l’intervention militaire française « Serval » en 2013.
« Pelouse »
Il participera ensuite au rebond d’AQMI dans la région en adoptant une nouvelle stratégie, moins frontale. Sur le plan militaire, c’est une nécessité face à la force de frappe française, au déploiement de milliers de casques bleus et à la naissance d’une force régionale, le G5 Sahel. Dans le tissu local, il reprend son jeu d’alliances, complexes et instables, avec différents groupes et tribus. Signe d’un renouveau, Yahya Abou Al-Hammam apparaît en 2017 sur la vidéo marquant la création du JNIM scellant l’union de cinq groupes djihadistes.
Deux ans plus tard, deux ou trois des cinq fondateurs présents sur les images sont morts. « Sans chef, plus de direction ni de coordination : les combattants sont désemparés », s’est félicitée, vendredi, la ministre française des armées. « Depuis un an, Barkhane est devenue plus efficace pour “tondre la pelouse” », remarque Andrew Lebovich, en référence à la capacité des Français à éliminer les chefs de groupes armés. « Mais la stabilité du Mali ne repose pas uniquement sur la lutte antiterroriste, ajoute-t-il, précisant que, si Yahya Abou Al-Hammam est une grande perte pour AQMI, il n’était pas le seul à détenir les clés du djihad. »
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