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Rachid Mekhloufi : « Je n’ai pas hésité avant de rejoindre l’équipe du FLN algérien »

En 1958, Rachid Mekhloufi, attaquant de Saint-Etienne, quitte la France pour participer Ă  la crĂ©ation de l’équipe du Front de libĂ©ration national algĂ©rien (FLN).

Propos recueillis par  (contributeur Le Monde Afrique)

Publié le 31 mars 2016 à 18h11, modifié le 01 avril 2016 à 10h28

Temps de Lecture 6 min.

Le joueur de football Rachid Mekhloufi (debout).

En 1958, Rachid Mekhloufi, attaquant de l’AS Saint-Etienne, quitte la France pour rejoindre Tunis afin de participer à la création de l’équipe du Front de libération national algérien (FLN). Aujourd’hui âgé de 79 ans, il revient sur cette expérience inédite.

Vous avez quittĂ© l’AlgĂ©rie Ă  18 ans pour signer Ă  Saint-Etienne en 1954. Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivĂ©e en France ?

En Algérie, les rapports entre Algériens et Français étaient assez tendus. Les gens se fréquentaient assez peu. En tout cas à Sétif, ma ville natale. C’était peut-être différent à Alger. Je me souviens qu’à Sétif, rue de Constantine, le soir au moment de la promenade, il y avait un trottoir pour les Algériens et un pour les Français. Les deux communautés s’évitaient. Cet antagonisme venait des deux côtés. Mais quand je suis arrivé en France, tout s’est bien passé. Les gens étaient relativement gentils avec moi.

Un soir d’avril 1958, vous avez pourtant dĂ©cidĂ© de quitter Saint-Etienne pour rallier Tunis, siège du Gouvernement provisoire de la RĂ©publique algĂ©rienne (GPRA). Comment avez-vous pris cette dĂ©cision ?

Cela faisait quatre ans que j’étais à Saint-Etienne. J’avais été sélectionné quatre fois en équipe de France, et j’aurais pu participer à la Coupe du monde en Suède. Mais avant un match contre Béziers, deux autres joueurs professionnels, Abdelhamid Kerbali (Lyon) et Mokhtar Arribi (RC Lens) sont venus me voir pour me proposer de partir à Tunis. Il y avait ce projet de créer une équipe du FLN, une idée de Mohamed Boumezrag, une façon de promouvoir la cause de l’indépendance de l’Algérie. On m’a laissé le choix, mais je n’ai pas hésité une seconde.

Je suis nĂ© Ă  SĂ©tif et j’ai vu des choses terribles, notamment lors du massacre de mai 1945. J’ai juste dit Ă  Arribi que je serais considĂ©rĂ© comme dĂ©serteur, car j’effectuais mon service militaire. Il m’a rĂ©pondu : « Et alors ? Â» Après le match, ils sont venus me chercher Ă  l’hĂ´pital, car je m’étais blessĂ© contre BĂ©ziers. Nous Ă©tions cinq dans la Simca d’Arribi avec Abdelhamid Bouchouk et SaĂŻd Brahimi, deux joueurs de Toulouse. Le voyage a durĂ© deux jours, via la Suisse et l’Italie. Nous avions un peu peur de nous faire arrĂŞter par la police française.

Avez-vous subi des pressions ?

Aucune. Ni menaces, ni pressions. J’ai parfois entendu dire que nous avions Ă©tĂ© forcĂ©s de rejoindre Tunis, mais c’est faux. J’aurais pu refuser. Un seul a refusĂ©, Salah DjebaĂŻli, et il ne lui est rien arrivĂ©. Il a hĂ©las Ă©tĂ© assassinĂ© en 1994 par des islamistes. Moi, fils de policier et mĂŞme si j’étais footballeur professionnel en France – avec un salaire très modeste – j’étais très imprĂ©gnĂ© par la situation en AlgĂ©rie. Je voulais voir les choses bouger.

Quel accueil avez-vous reçu Ă  Tunis ?

Le responsable du FLN à Tunis ne connaissait pas grand-chose au football. Mais ça a rapidement bougé, car ils ont compris que le foot pouvait servir la cause. Nous avons d’abord été installés à l’hôtel, puis on a commencé à s’entraîner. La presse a commencé à parler de nous. Mais tout contact avec Alger était exclu. Rapidement, un programme a été mis en place.

Trente-deux joueurs formaient cette équipe. Nous allions disputer des matchs dans des pays sympathisants de la cause algérienne, principalement dans les pays de l’Europe de l’Est, notamment en Bulgarie, en Roumanie, en URSS, en Hongrie et en Tchécoslovaquie, en Asie (Chine, Nord Vietnam), et dans plusieurs pays arabes (Irak, Libye, Jordanie, Maroc, Tunisie), où le FLN avait en quelque sorte des ambassadeurs. On partait en tournée plusieurs semaines.

Certains souvenirs sont-ils plus marquants que d’autres ?

Oui, bien sûr. Mais il faut d’abord rappeler que cette équipe du FLN n’était évidemment pas reconnue par la FIFA. Mais les sélections qui nous accueillaient ne devaient pas avoir le titre de sélection A, pour ne pas être ennuyée par la FIFA. Je me souviens notamment d’un match à Belgrade. Il y avait eu un match avant le nôtre, et beaucoup de spectateurs avaient quitté le stade. Mais par le bouche-à-oreille, ils ont appris qu’une équipe du FLN faisait de très belles choses sur le terrain, face à leur sélection, et les tribunes se sont de nouveau remplies. Et nous avons gagné 6-1… Je me souviens aussi que Ho Chi Minh nous avait reçus au petit-déjeuner dans son palais. Nous avions aussi accompagné Zhou Enlai, le premier ministre chinois de Mao, au théâtre… En Chine, on nous demandait de donner des conseils sur le jeu aux entraîneurs locaux. Mais il y a eu des épisodes moins sympathiques.

Lesquels ?

Par exemple, nous n’avons jamais joué en Egypte, car le président de la fédération était vice-président de la FIFA et il ne voulait pas d’ennuis. Je me souviens également d’un déplacement en Pologne, où nous avons été très mal reçus. Un pays qui a des liens très étroits avec la France. Avant le match (4-4), les officiels polonais ne voulaient pas que l’hymne algérien (Kassaman) soit joué. Nous avons menacé de ne pas disputer la rencontre. Finalement, l’hymne a été joué et le drapeau algérien hissé. Nous prenions ces matchs très au sérieux, même si, parfois, c’était un peu trop facile. Nous représentions une cause, et je pense que nous avons contribué à la faire avancer [selon les statistiques du journaliste Michel Nait-Challal, l’équipe du FLN aurait disputé 83 matchs, pour 57 victoires, 14 nuls et 12 défaites, inscrivant 349 buts pour 119 encaissés].

Quelles Ă©taient vos conditions matĂ©rielles durant ces quatre annĂ©es d’exil quasi permanent ?

Nous avions des appartements dans le quartier d’El-Menzah, à Tunis. Certains étaient célibataires, comme moi, même si j’ai rencontré plus tard ma femme à Tunis. D’autres étaient avec femme et enfants. On nous donnait 50 dinars tunisiens par mois. Mais il y avait beaucoup d’entraide.

Vous êtes revenu en France, quelques mois après les accords d’Evian et l’accès de l’Algérie à l’indépendance…

Oui, mais auparavant, j’ai joué plusieurs mois en Suisse, au Servette Genève. C’est ce qu’on m’avait conseillé de faire. Puis Roger Rocher, le président de Saint-Etienne, est revenu me chercher. Le club était en Ligue 2. L’accueil du public, pour mon retour au stade Geoffroy-Guichard, fut glacial. Mais j’ai fait quelques gris-gris, et cela a réchauffé l’atmosphère. Certains supporters stéphanois m’en voulaient d’avoir abandonné le club précipitamment quatre ans plus tôt. Mais je n’ai jamais été insulté par rapport à mon engagement pour le FLN.

Certains joueurs de l’équipe de France, tels Just Fontaine ou Raymond Kopa, avaient eu des mots d’encouragement. On m’avait dit de faire attention en France, notamment par rapport aux membres de l’OAS. Mais il ne m’est jamais rien arrivĂ©. Je suis restĂ© six ans Ă  Saint-Etienne, dont je suis parti en 1968 après la victoire en Coupe de France contre Bordeaux (2-1). J’avais marquĂ© les deux buts. Et ensuite, je suis parti pour Bastia.

Vous avez entraîné à plusieurs reprises la sélection algérienne. Aujourd’hui, elle est majoritairement composée de binationaux…

Je vais vous avouer une chose : je m’intĂ©resse moins au football qu’auparavant. Il y a trop de matchs. Quand vous allumez votre tĂ©lĂ©, vous avez toutes les chances de tomber sur un match, et vous ne savez mĂŞme plus qui joue contre qui. Et puis, l’attitude des footballeurs est dans certains cas agaçante…

Mais pour répondre à votre question, je trouve dommage que le football local soit aussi négligé. Car il y a beaucoup de talents en Algérie. Hélas, il n’y a pas grand-chose de fait pour la formation des jeunes. Et c’est difficile pour un joueur évoluant dans le championnat local d’espérer intégrer la sélection nationale. Pour l’instant, elle a des résultats. Mais si un jour les binationaux ne veulent plus venir, cela va devenir un problème…

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