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Transports : « Dans la crise actuelle, ce qu’on entend, c’est l’absence d’alternatives à la voiture »

#UrgenceClimat. Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilités à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), a répondu à vos questions.

Le Monde

Publié le 10 décembre 2018 à 16h00, modifié le 10 décembre 2018 à 17h41

Temps de Lecture 8 min.

Alors que la COP24 se tient en Pologne, Le Monde s’interroge toute la semaine sur les manières de lutter, à l’échelle individuelle et collective, contre le dérèglement climatique. Lundi 10 décembre, nous nous intéressons à la question des alternatives à la voiture alors que le mouvement des « gilets jaunes » a débuté par la contestation de la hausse de la taxe sur les carburants.

Peut-on se passer de la voiture ? Quelle mobilité face au dérèglement climatique ? Comment développer les transports alternatifs, notamment dans les territoires ruraux ? Quelles sont les ambitions du gouvernement sur ces sujets ? Jérémie Almosni, chef du service transport et mobilités à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), a répondu à vos questions.

Voiture jaune : La voiture représentant une certaine liberté par rapport aux transports en commun, et le moyen de transport le plus direct pour aller d’un point A à un point B, à quel point est-il difficile de convaincre les gens de renoncer à cette facilité ?

Changer de mode de transport est compliqué car il a été choisi avant tout pour répondre à son besoin de déplacements (…). Ces déplacements du quotidien sont variables d’un individu à l’autre mais disposent de certains déterminants : mon trajet domicile-travail est le même, la distance à parcourir est faible (50 % des trajets domicile travail sont en dessous de 5 km), je dispose d’un parking à vélos à la gare située à 5 km de chez moi… Le travail préliminaire est de décomposer son besoin de déplacement et voir quelles sont les offres associées et comment je peux y avoir accès : service de covoiturage, d’autopartage, vélo personnel ou partagé.

Pour des trajets un peu plus importants, l’essor du vélo à assistance électrique permet de se mettre en selle pour des distances plus longues.

Nous avons participé à l’actualisation de l’Observatoire sur les mobilités émergentes avec l’Obsoco et Chronos. Sur les 4 000 foyers sondés, 50 % indiquent utiliser quotidiennement leur voiture alors que ce chiffre était de 59 % en 2016. Nous voyons un essoufflement du modèle actuel. Cependant, nous remarquons qu’il existe une fracture territoriale forte. En particulier, un manque d’offre pour les territoires peu denses. Le principal enjeu réside dans l’accès à l’offre dans ces territoires, sûrement premier gage de changement.

Enfin, il y a ce qui est de l’ordre « culturel ». La présence du véhicule dans notre environnement quotidien avec un poids fort du marketing des constructeurs ne facilite pas les choses.

Lire : Article réservé à nos abonnés Le vélo électrique, nouvelle petite reine branchée

Artymis : Quel est le transport en commun le moins polluant et comment peut-on le développer à travers la France ?

Le transport en commun le moins polluant est la marche, sans aucun doute, mais ne répond pas à tous les besoins de mobilité. Il faut plutôt raisonner en termes d’efficience : pour mon besoin de déplacement, quel est le mode de transport le moins polluant ? (…) Pour des trajets un peu plus importants, l’essor du vélo à assistance électrique permet de se mettre en selle pour des distances plus longues. Nous avons également une offre de transports en commun importante en France, qui présentent indéniablement un meilleur bilan que la voiture, utilisée dans plus de 80 % des cas seul pour ses déplacements quotidiens.

Enfin, la voiture est une alternative si elle est partagée et dispose d’une technologie bas carbone. Avec un taux d’occupation par véhicule autour de 1,1 passager en moyenne, le fait de doubler le nombre d’occupants aurait intrinsèquement une baisse d’émission rapportée au nombre d’usager. De plus, pour des véhicules particuliers, l’utilisation de l’électrique donne un bilan à l’échappement du véhicule très positif (pas d’émission).

Enfin, le déplacement le moins polluant est aussi celui qu’on peut éviter. Le télétravail, le développement de l’e-commerce (à condition qu’il soit optimisé), l’itinérance des commerces dans les centres-bourgs, les tiers lieux sont d’autant des solutions pertinentes pour réduire les déplacements.

Antho1989 : Le problème ne vient-il pas du gouvernement, qui ne mène pas une politique de développement urbain fondée sur les transports en commun ?

La loi d’orientation des mobilités, qui passera début d’année 2019 devant les parlementaires et donne quelques éléments de cadrage sur la gouvernance de la mobilité dans les territoires, en particulier les territoires peu denses (…), et le forfait mobilité, qui s’ouvre à l’utilisation du vélo, du covoiturage pour les déplacements au quotidien vers son lieu de travail, sont des mesures censées encourager l’utilisation de ces modes et services.

L’Ademe, en particulier, accompagne les collectivités et entreprises innovantes : c’est en particulier le cas avec l’appel à manifestation d’intérêt French Mobility – territoires d’expérimentation de nouvelles mobilités durables dans les territoires peu denses, où nous avons eu des initiatives intéressantes partout en France. Les collectivités locales jouent aussi un rôle important et central pour accompagner ces mutations.

Dans la ville de Lille la régie des transports fournit déjà des Segway.

ProvencalLeGaulois : Est-ce qu’il y a des chances que la crise des « gilets jaunes » mette le climat au premier plan des préoccupations futures de notre gouvernement ou risque-t-on de voir des mesures apparaître uniquement pour améliorer la « justice fiscale » et augmenter notre pouvoir d’achat afin de calmer la colère des Français ?

La « crise des gilets jaunes » met la question du climat sur la table et les réponses qui doivent y être apportées. Sans parler de la question du pouvoir d’achat, ce qu’on entend est l’absence d’alternative à la voiture. Dans certains cas de figure, nous avons pu entendre une volonté de changement mais ne pas disposer de moyens pour opérer ces mutations. L’Observatoire des mobilités émergentes montre que 68 % des Français sondés ont changé au moins une fois de mode de transport sur les douze derniers mois. Le motif évoqué est celui de la cause environnementale, et dans un second temps la question économique. Cependant, quand nous interrogeons ces mêmes personnes sur l’existence d’alternative à la voiture, seulement 49 % d’entre eux indiquent avoir accès à d’autres offres et principalement en zone urbaine.

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Cette crise devrait permettre d’ouvrir plus largement la question de la fiscalité écologique et l’allocation des recettes au développement d’alternative à la voiture. Par ailleurs, nous pourrions réfléchir plus largement sur la tarification du transport. Aujourd’hui l’offre de transport est pléthorique, mais le plus souvent le prix à payer ne tient compte ni des externalités ni des comportements.

Joël : La voiture électrique ? Oui, oui, à condition que l’on ne soit plus du tout dans la logique nucléaire. Peut-elle fonctionner à 100 % avec les énergies renouvelables dans un laps de temps assez court ?

La question de l’impact environnemental du véhicule électrique est complexe. A l’Ademe, nous avons mené de nombreuses études pour déterminer les conditions de pertinence environnementale les plus optimales pour les véhicules électriques. Nous nous sommes appuyés sur des méthodologies d’analyse de cycle de vie consistant à prendre en compte l’ensemble des étapes dans la vie du véhicule : sa fabrication, son utilisation et la gestion de sa fin de vie. Cette analyse est menée sur plusieurs indicateurs environnementaux.

Ainsi, dans un mix électrique principalement nucléaire, il ressort que le véhicule électrique est très avantageux sur un indicateur montrant sa contribution au potentiel de réchauffement climatique. En revanche, effectivement, les déchets radioactifs sont plus importants.

Bonjour : Des pays ont-ils déjà réussi à se passer « globalement » de la voiture et quelles mesurent ont été utilisées ?

Des initiatives sont menées à l’étranger pour interdire la voiture de certaines villes, mais peu de pays ont adopté des mesures visant à se passer de la voiture. Globalement, si ces initiatives sont menées à l’échelle des villes, c’est bien souvent parce que l’effet recherché se concentre sur les problématiques de qualité de l’air.

En Norvège, les véhicules électriques ont représenté 5 % des ventes cette année. Un record.

En février 2018, l’Allemagne a, par exemple, autorisé les villes à interdire les voitures dans certaines rues. Cette décision pourrait avoir un effet multiplicateur, notamment dans les villes avec des niveaux de pollution élevés. Il est important de souligner que ces mesures doivent être accompagnées du développement de solutions de mobilité alternatives à la voiture individuelle.

Christophe : Pourquoi le gouvernement n’envisage pas des mesures fiscales favorables aux déplacements à vélo ou à vélo électrique ?

La part modale du vélo est aujourd’hui faible en France (2,7 % de l’ensemble des déplacements) et positionne la France à la vingt-cinquième place dans l’Union européenne, où la part modale moyenne dépasse 7 %. (…) Les enjeux du développement d’un écosystème cyclable sont immenses à la fois en termes d’aménagement (infrastructures spéciales, partage de la voirie, traitement des discontinuités, stationnement sécurisé, etc.) mais également en termes d’accompagnement (offre de services, appui au changement de pratique, etc.). Il faut dire que le potentiel d’usage du vélo est très important : pour les trajets domicile-travail inférieurs à 5 km, la part de la voiture s’élève à 60 % environ, tandis que le vélo reste très minoritaire (4 %) selon l’Insee.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les ateliers de réparation de vélos en pleine expansion

Dans le cadre de la stratégie d’orientation des mobilités, qui sera annoncée d’ici l’été, le gouvernement structure un plan vélo à même d’augmenter la part modale du vélo à 9 % d’ici à 2024. Par ailleurs, dans le cadre du Grand Plan pour l’investissement, l’Etat a décidé de consacrer, sur le quinquennat, 500 millions d’euros de la dotation de soutien local à l’investissement aux mobilités, et notamment aux mobilités actives. De plus, la loi d’orientation des mobilités a substitué l’indemnité kilométrique vélo par le forfait mobilité qui permettrait de couvrir à la fois les coûts d’usage de son vélo mais aussi de l’investissement à consentir, un peu plus conséquent quand il s’agit d’un vélo à assistance électrique.

Luc : Comment encourager à ne plus utiliser la voiture, sans passer par des moyens contraignants (taxe, péage urbain, etc.) qui rebute une majorité de Français ?

Sur le plan individuel, le degré élevé de sensibilité à l’égard de l’environnement et les enjeux sanitaires entraîneront des changements d’habitude de mobilité chez une majorité. Nous avons près de 81 % des personnes interrogés dans l’Observatoire des mobilités émergentes qui indiquent que la situation écologique est préoccupante et 68 % ont changé leur mode de déplacement pour des raisons écologiques. De fait, l’environnement ouvre la voie aux futures des mobilités.

Sur le plan collectif, beaucoup d’entreprises devront élaborer des plans de mobilité pour encourager des alternatives à la voiture ou encore la mise en place du télétravail. Le rôle de l’école sera également important notamment sur la sensibilisation pour impliquer dès le plus jeune âge les enfants aux alternatifs à la voiture. Enfin, le rôle de la collectivité est majeur. Elles devront combiner les enjeux de mobilités aux enjeux d’aménagement du territoire, à ses enjeux économique et aux enjeux sociaux.

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