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La justice accorde le statut de « parent biologique » à une femme transgenre

Une décision de la cour d’appel de Montpellier, « inédite », permet l’inscription à l’état civil de la filiation des deux parents dont l’un est devenu femme tout en étant le père biologique.

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Publié le 14 novembre 2018 à 17h16, modifié le 15 novembre 2018 à 06h28

Temps de Lecture 4 min.

L’ancien palais de justice de Montpellier, actuel siège de la cour d’appel et de la cour d’assises, en 2009.

C’est une décision de justice unique en son genre qu’a rendue, mercredi 14 novembre, la cour d’appel de Montpellier, appelée à se prononcer dans une complexe affaire de filiation impliquant une femme transgenre. Dans l’arrêt, que Le Monde a pu consulter, apparaît une notion juridique nouvelle, celle de « parent biologique », qui permet d’inscrire sur l’acte de naissance de l’enfant la filiation biologique des deux parents, dont l’un a la particularité ici d’être devenu femme tout en étant le père biologique.

Cet arrêt, susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation, est « un soulagement » pour le couple formé par Marie et Claire (les prénoms ont été changés), a fait savoir leur avocate Clélia Richard. Il intervient après des années de procédure qu’il convient de replacer dans le contexte d’une histoire familiale hors norme.

Au départ, ce couple de l’Hérault est composé d’une femme, Marie et de son mari, qu’on appellera Bernard, par commodité. Mariés en 1999, ils ont deux garçons. Mais dix ans après leur union, Bernard décide de devenir une femme, sans toutefois recourir à une opération. Il obtient, en 2011, du tribunal administratif de Montpellier son changement de sexe et l’inscription de cette décision en marge de son état civil et de son acte de mariage.

Marie et Bernard (que nous appellerons désormais Claire) deviennent ainsi, deux ans avant que la loi l’autorise, un des premiers couples mariés de personnes du même sexe. Les deux femmes poursuivent leur vie conjugale et leurs relations sexuelles, ce qui aboutit à la naissance, en 2014, de leur troisième enfant, une fille.

Différence entre les filiations maternelle et paternelle

Lors de la grossesse de Marie, Claire fait enregistrer chez un notaire parisien une reconnaissance prénatale de nature « maternelle, non gestatrice ». Mais après la naissance de l’enfant, l’officier de l’état civil refuse de transcrire cette reconnaissance de maternité, arguant qu’elle doterait l’enfant d’une double filiation maternelle, ce que la loi française n’autorise pas en dehors du cadre de l’adoption, accessible aux couples de même sexe depuis la loi sur le mariage pour tous. Claire saisit alors le tribunal administratif de Montpellier pour faire valoir sa demande de transcription.

Le jugement, prononcé le 22 juillet 2016, la rejette, au motif que « la création d’un être humain procède de la rencontre d’un ovocyte (principe féminin) et d’un spermatozoïde (principe masculin) et qu’il est donc impossible que deux personnes du même sexe soient les parents biologiques d’un enfant ».

« Par l’acte de procréation masculine qu’elle revendique, [Claire] a fait le choix de revenir de façon unilatérale sur le fait qu’elle est désormais reconnue comme une personne de sexe féminin, et elle doit en assumer les conséquences », estime le tribunal. Il rappelle, à cette occasion, qu’en droit français, la filiation maternelle est d’ordre biologique et s’établit « par la gestation et l’accouchement », à la différence de la filiation paternelle, qui repose sur une reconnaissance de paternité ou sur une présomption de paternité du mari de la mère.

Claire fait appel de la décision. Dans un premier arrêt, la cour d’appel renvoie l’affaire en demandant que la mère biologique, Marie, soit présente au débat, ainsi que l’enfant, représentée par l’Union départementale des affaires familiales (UDAF) de l’Hérault. Les deux mères s’opposent de concert à ce que la filiation de Claire et de sa fille soit établie après une procédure d’adoption, et refusent également l’établissement d’une filiation paternelle.

Une filiation non sexuée, une première en France

L’UDAF, représentée par l’avocat Pierre Paliès, soulève pour sa part la réalité biologique de la naissance de la petite fille, et met en avant l’inégalité de statut, par rapport à ses deux frères aînés, qu’une double filiation maternelle ferait peser sur elle.

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La décision de la cour d’appel de Montpellier, initialement attendue le 24 octobre, a été prorogée de trois semaines, ce qui illustre la complexité de l’affaire et la volonté des magistrats d’y apporter toute la réflexion qu’elle mérite. Dans son arrêt rendu le 14 novembre, la cour choisit finalement une position médiane en inventant cette notion de « parent biologique », qui établit ainsi une filiation non sexuée, une première en France.

« La cour d’appel avait la possibilité de rendre deux positions : reconnaître la seconde femme comme mère, ou la reconnaître comme père. Elle a choisi de ne pas trancher », a réagi l’avocat Pierre Paliès, qui représentait dans cette affaire les intérêts de l’enfant, et s’interroge sur l’atteinte à la vie privée de cette dernière, « qui devient une exception juridique en France ».

« On peut se demander si cette nouvelle notion de “parent biologique” n’annonce pas la disparition des pères et mères du code civil », relève pour sa part Clélia Richard, se disant attentive à ce que cette nouvelle catégorie ne soit pas réservée aux seules personnes trans et à leurs enfants, devenant alors « la source de graves discriminations ».

Dans le contexte actuel de la révision de la loi de bioéthique, qui prévoit l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, cette décision inédite de la cour d’appel de Montpellier illustre en tout cas la complexité de l’établissement de la filiation pour les couples homosexuels, et le vide juridique actuel que le législateur sera amené à combler.

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