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Quand l’opéra créait des divas

Apparues à la fin du siècle des Lumières, elles ont connu leur âge d’or au XIXe siècle, avant de voir leur étoile pâlir. Jusqu’à la Callas, dernier monstre sacré.

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Publié le 08 février 2019 à 07h00

Temps de Lecture 3 min.

L’Espagnole Montserrat Caballe, à l’Opéra Garnier, en 1993.

Les castrats ont régné sur l’opéra pendant toute la période baroque. En France, où l’on n’a jamais apprécié les « empêchés », ce sont les cantatrices qui ont tout de suite eu droit de cité. Ainsi Marthe Le Rochois, protégée de Lully et première grande dame de l’opéra français. Comme leurs homologues du ballet, les chanteuses ont de puissants protecteurs – « filles d’opéra » est synonyme de courtisane. Les pamphlétaires ­brocardent l’ambitieuse Marie ­Pélissier et ses parties ­fines, ­encensent l’art de ­Marie Fel, dont Quentin de La Tour, l’un de ses nombreux amants, peindra un ­célèbre pastel.

Certaines de ces dames inspireront au XIXe siècle des romans qui té­moignent de la place centrale de la diva, dont le terme est entré au ­Dictionnaire de l’Académie en 1831. Mademoiselle de Maupin, bretteuse émérite, ­bisexuelle, scandaleuse à la voix ­envoûtante, inscrira ainsi, plus d’un siècle après sa mort, son nom en ­couverture d’un livre de Théophile Gautier (1835). Idem pour Sophie ­Arnould, femme d’esprit amie des philosophes et experte en dévergondage, dont la vie inspira les frères Goncourt (1857), tandis que George Sand retraçait dès 1843 dans ­Consuelo les traits de Pauline Viardot, sœur de la célèbre Maria Malibran, première pop star de l’ère romantique.

Le 20 juillet 1832, le Tout-Paris s’est déplacé pour assister à la révélation de la jeune Cornélie Falcon dans une reprise de Robert le Diable, de ­Meyerbeer, une voix dramatique, puissante et sombre, qui ajoutera son nom à la typologie vocale, le ­ « falcon ». Si c’est à Giuditta Pasta que revient d’avoir été la ­première diva du bel canto, l’exceptionnelle étendue du contralto de Marietta ­Alboni, surnommée par Rossini ­l’« ultimo dei castrati » (le « dernier des castrats »), subjugue Meyerbeer et lui vaut de figurer aujourd’hui dans la ­galerie des ­bustes du Palais Garnier.

Une aura qui perdure

Ces dames imposent leurs amours tapageuses : Rossini épousera Isabella Colbran après l’avoir enlevée à son amant. Le succès les privera de prénom. On parle de la Pasta, la ­Malibran, la Grisi, la Sontag. En même temps qu’il idéalise les danseuses, transformées en elfes avec pointes et tutus, le romantisme se toque des voix de ­rossignol dont l’aigu flirte avec la strato­sphère. A la fin de sa ­carrière, la Suédoise Jenny Lind ­partira en tournée avec le cirque ­Barnum pour des concerts acrobatiques qui ­attirent des milliers de spectateurs.

Depuis toujours, les rivalités entre ces monstres sacrés ont fait la petite histoire de l’opéra. Ainsi, à Londres, le fameux pugilat entre les « Rival Queens » Faustina Bordoni (la première à avoir atteint le contre-ut) et Francesca Cuzzoni, en pleine représentation d’Astianatte, de Bononcini, le 6 juin 1726. De même, le duel entre Henriette Sontag et Maria Malibran, puis entre Maria Callas et ­Renata ­Tebaldi (qui ne nourrissaient en privé aucune inimitié), enfin Montserrat ­Caballé et ­Marylin Horne, la première remplaçant la seconde au pied levé dans Lucrezia ­Borgia, de Donizetti, au ­Carnegie Hall, en 1965 : acte de naissance de la ­prestigieuse carrière de l’Espagnole.

Remisées au rayon de la ringardise par les stars d’Hollywood et de Broadway

La fin du XIXe siècle voit le pouvoir changer de camp. L’heure de l’Europe est à la guerre, l’opéra a besoin de ­héros, les voix montent en puissance, les tessitures s’élargissent. Verdi et Wagner n’ont pas envie de se ­laisser marcher sur les partitions. L’aura de la diva décline, que démystifie le ­réalisme des photographies de Nadar, la cruauté des caricatures de Gill. L’Italienne Adelina Patti, qui chantera jusqu’à l’âge de 73 ans, a été la dernière diva du XIXe siècle. Elle aura pour héritière l’Australienne ­Nellie Melba, dont le nom restera ­attaché au fameux ­dessert à la pêche. Des cylindres ­grasseyants ont capturé leurs voix, les premiers films muets dévoré visages et silhouettes (Mary Garden, Géraldine Farrar), la publicité leur volera leur âme d’artiste – Marie Delna pour les biscuits Lu, Geneviève Vix pour le savon Cadum. Malgré le ­Metropolitan Opera, qui fait figure de sanctuaire durant l’entre-deux-guerres et accueille Rosa Ponselle, Lily Pons, ­Conchita ­Supervia, les stars d’Hollywood ou de Broadway finiront de remiser les ­divas au rayon de la ringardise.

La célèbre cantatrice américaine d'origine grecque, Maria Callas, à l'Opéra de Paris, le 16 mai 1964.

Au mitan du XXe siècle, le phénomène Callas jettera ses derniers feux. Nostalgie ? Le destin splendide et ­tragique de la « divina », qui ressuscita le bel canto, n’a rien perdu de son aura, comme en témoignent à chaque anniversaire expositions, rééditions phonographiques, voire concerts avec hologramme. Hier comme au­jourd’hui, d’Anna Netrebko à Sonya Yoncheva, de Cecilia Bartoli à Joyce ­DiDonato, d’Angela Gheorghiu à Natalie Dessay, sans oublier ­Marianne ­Crebassa, Julie Fuchs, ou Sabine Devieilhe, les chanteuses ont de beaux soirs devant elles.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Opéra de Paris.

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