En plaçant son cinquième festival sous le thème du verbe « aimer », Le Monde a fait un choix qui peut étonner. Quoi ? Nous n’aurions rien de mieux à faire, par ces temps troublés ? Eh bien non. Car aimer, c’est vibrer. Refuser de se laisser glisser dans l’apathie, le désespoir, le repli, l’indifférence. Comme s’ils avaient senti l’urgence de cette forme de résistance, les spectateurs sont venus très nombreux, du 5 au 7 octobre (25 000 personnes en trois jours). Et le moins que l’on puisse dire est que les quarante débats, films ou événements artistiques ont été à la hauteur de ce verbe magnifique : joie pure ou inquiétude, rires ou bouffées d’angoisse, paroles d’amour ou d’avertissement, ce festival a été celui de la vie contre la résignation, du plaisir contre la morosité.
Vendredi, 20 heures, Gaumont Opéra : « Une affaire de famille », film d’Hirokazu Kore-eda
On ne pouvait mieux entrer dans l’orbite du verbe « aimer » et ouvrir le festival qu’avec ce grand cinéaste japonais, présent dans une salle noire de monde. Projeté en avant-première, le film, qui a reçu la Palme d’or à Cannes en mai, tourne autour des différentes manières de « faire famille ». Le spectateur en sort ébloui par la subtilité du cinéaste, sa fantaisie, son cadrage à hauteur des enfants et des grands, mais aussi la part d’énigme qui continue de flotter quand la lumière se rallume.
Samedi, 10 heures, Palais Garnier : rencontre avec Pierre de Villiers
Parler avec un militaire peut sembler contre-intuitif quand on a décidé de se placer sous le signe de l’amour, mais c’est mal connaître Pierre de Villiers. D’abord parce que l’ancien chef d’état-major des armées a profondément aimé cette institution dans laquelle il a fait toute sa carrière. L’armée, dit-il, peut engendrer, entre un chef et son subordonné, « un amour gratuit, réciproque, non galvaudé ». Mais les Français, eux aussi, sont attachés à leur armée. « Quand je suis entré à Saint-Cyr, en 1975, j’étais passionné de foot. Avec mes cheveux courts, je n’étais pas forcément populaire sur les terrains, car l’armée ne l’était pas. Quand je l’ai quittée, en 2017, le lien armée Nation fonctionnait de nouveau. » Et, évoquant la manière dont l’institution accueille aujourd’hui, plus qu’hier, des jeunes en quête d’engagement et de fraternité, il voit dans l’armée « une petite graine d’espérance et d’amour dans une société très fracturée ».
Samedi, 10 heures, Opéra Bastille : le big data va-t-il tuer le hasard des rencontres ?
Est-il bien raisonnable de confier sa vie sentimentale et sexuelle à un algorithme ? Comme un entremetteur nourri d’une montagne de données, cette suite mathématique nichée dans un téléphone prendrait, dans l’ombre, des décisions qui façonneront la vie des utilisateurs, en fonction de leur taille, de leurs goûts musicaux, de leur éducation… Pour la journaliste Judith Duportail, il faut absolument maîtriser ces données dont le « pouvoir est immense » et repérer « les chaînes qui nous entravent ». Pourtant, le hasard a beau être central dans l’imaginaire de l’amour, il n’existe pas vraiment dans la réalité : on rencontre, on aime et on vit avec des gens qui nous ressemblent a rappelé la sociologue Marie Bergström. Et l’algorithme – les travaux des sociologues le montrent – ne change rien à l’affaire.
Samedi, 12 heures, Opéra Bastille : donner l’envie d’apprendre, un jeu d’enfant ?
En classe aussi, les sentiments comptent, pourvu que les enseignants acceptent de compter sur eux. Car les humains sont capables d’accorder de l’attention à la pensée de l’autre, souligne le chercheur en sciences cognitives Stanislas Dehaene, ajoutant que le travail en groupe restaure la confiance en l’école. Cette forme de collaboration est d’autant plus importante qu’elle joue un rôle dans ce que le chercheur en sciences de l’éducation Philippe Meirieu appelle la « sociabilisation secondaire » : les enfants doivent pouvoir parler du travail scolaire entre eux, sinon l’école n’a plus de place dans leurs liens d’amitié et ils la rejettent. De son côté, Blanche Lochmann, présidente de la société des agrégés, attire l’attention sur l’exercice scolaire, parfois délaissé car jugé rébarbatif. Or, l’enfant aime relever des défis et trouver les solutions.
Samedi, 12 heures, Théâtre des Bouffes du Nord : à quoi sert un musée ?
Non seulement Nathalie Bondil a ouvert un centre d’art et thérapie dans l’enceinte de son institution, mais la directrice du Musée des beaux-arts de Montréal compte aller plus loin : bientôt, des médecins pourront prescrire à leurs patients des visites au musée. Cet exemple montre que le musée ne peut plus rester replié sur la notion classique de collection. Il est, de plus en plus, conduit à s’ouvrir à la société, au risque de devenir un forum plutôt qu’un lieu d’art, comme l’a signalé Sylvie Ramond, directrice générale du Pôle des musées de Lyon. Pourtant, ce lieu d’éducation et de plaisir doit rester un endroit à part : « A quoi sert un musée ?, demande Laurent Le Bon, président du Musée Picasso de Paris. A rien, heureusement. »
Samedi, 13 h 30, Palais Garnier : comment informer sous la présidence Macron ?
Emmanuel Macron « se méfie des intermédiaires, presse, syndicats, élus locaux », souligne Léa Salamé, journaliste à France Inter et France 2. Au risque pour les journalistes de passer pour des empêcheurs de gouverner en rond, voire une opposition constituée, ce qu’a démenti Luc Bronner, directeur de la rédaction du Monde : « Notre diversité, les débats que nous avons en interne, font que nous ne pouvons pas être une opposition à ce pouvoir. »
Samedi, 15 h 30, Palais Garnier : conversation avec Mario Vargas Llosa
Son apologie du libéralisme a suscité de l’enthousiasme mais aussi des grincements de dents. « Je suis pour l’utopie artistique, mais pour le réalisme en matière de politique », a déclaré Mario Vargas Llosa, grand écrivain péruvien et Prix Nobel de littérature en 2010. Grand témoin de l’histoire sud américaine, il a rappelé que « libéralisme et liberté sont inséparables ». Pour lui, la démocratie a fait des progrès sur cette partie du continent, même si l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil serait « une tragédie ».
Samedi, 16 heures, Opéra Bastille : clitoris, le grand tabou
Même dans nos sociétés prétendument libérées, le plaisir féminin reste un angle mort de la pensée sur le sexe. Le clitoris est pourtant le seul organe de l’espèce humaine entièrement dédié au plaisir. Mais « le machisme est toujours extraordinairement présent, et la société tellement androcentrée qu’on ne s’en rend pas compte, a affirmé le chirurgien Pierre Foldes, qui combat pour réparer des femmes excisées. La revendication de performance de la part des hommes, y compris dans l’orgasme féminin, c’est du machisme pur. »
Samedi, 16 heures, Théâtre des Bouffes du Nord : conversation avec Juliette Armanet
Moment de grâce et d’intensité autour de la jeune chanteuse qui affirme avec ferveur qu’un concert, c’est « la rencontre de deux désirs ». « Nous, dit-elle, on a envie de jouer, de partager, d’être émus, de transpirer. Et le public, lui, a envie de rencontrer ceux qui sont sur scène. Donc, un public doit être bon ! »
Samedi, 22 heures, Théâtre des Bouffes du Nord : nuit de l’amour et des idées
Jusqu’à 6 heures du matin, la nuit est bercée de paroles et de musique, dans le cadre magique de ce théâtre. De nombreux invités passent en revue leurs définitions de l’amour. La transgression est à l’honneur et le désir, la star du soir. « Ce n’est pas moral, mais c’est tellement bon, lance le philosophe André Comte-Sponville. Ce léger sentiment de culpabilité, c’est ce que je préfère dans la sexualité, mais ce n’est pas l’amour. L’amour et la sexualité sont deux choses tellement différentes, et la rencontre des deux est d’autant plus délicieuse. »
Dimanche, 10 heures, Opéra Bastille : conversation avec Roberto Saviano
Bien qu’il vive sous escorte policière depuis la parution de son livre consacré à la mafia napolitaine, en 2006, l’auteur de Gomorra n’a pas l’air d’avoir peur. Il semble même presque serein, alors que la réalité dont il parle est noire : ravages de la camorra, constitution de gangs d’enfants au sud du pays et dérive politique d’une Italie livrée à un attelage populiste. Dans ce pays où une partie de la presse a décidé de ne pas faire de vagues, de peur de perdre les ressources financières de l’Etat, lui continue de se battre. « C’est la guerre », lance-t-il à l’assistance pétrifiée. « Je dis aux Français, regardez l’Italie, vous êtes probablement en train de regarder votre avenir. » Se sent-il utile, pour sauver son pays du désastre ? « Je suis dans la merde et je m’enfonce de plus en plus. Mais dans ma défaite, je me sens plus grand qu’eux dans leur victoire. » Pas question pour autant de sombrer dans le désespoir : « Chacun d’entre nous est indispensable, lorsqu’il décide de combattre le mensonge. Dans les taxis, à table, au travail, déplacer son interlocuteur, même d’un millimètre, cela fait une différence. »
Dimanche, 10 heures, Palais Garnier : la rencontre des corps, une histoire du sexe
Les historiens Michelle Perrot et Alain Corbin dessinent l’évolution de la sexualité dans la société française, de la fin du XVIIe siècle au milieu du XXe et à l’invention de la pilule. « Il y avait, entre les hommes et les femmes, une importante différence d’expérience sexuelle, rappelle Alain Corbin : les garçons allaient au bordel quand les filles devaient préserver leur virginité. » Comment est-on sortis de cette inégalité foncière ? Par le mariage d’amour, explique Michelle Perrot.
Dimanche, 10 heures, Palais Garnier : danser l’amour
C’est un vrai bonheur doublé d’un exploit : pendant trois heures, sous le plafond peint par Chagall, les chorégraphes José Montalvo et Chantal Loïal font danser 350 spectateurs devenus acteurs d’un moment exceptionnel, au terme duquel beaucoup se sentent transformés.
Dimanche, 12 heures, Palais Garnier : aux origines de #metoo
L’historienne Arlette Farge déclenche une vague d’applaudissements émus en racontant qu’on lui a toujours dit dans son enfance qu’elle était bête. Elle évoque cette violence faite à l’esprit des femmes, le présupposé de leur manque d’intelligence, avant de revenir à l’histoire du viol. Lisant des extraits de plaintes déposées par des femmes au XVIIIe siècle, des faits alors lourdement condamnés, elle observe que « l’histoire n’est pas linéaire ».
Dimanche, 17 h 30, Opéra Bastille : conversation avec Chimamanda Ngozie Adichie
Ils sont venus en masse pour écouter l’écrivaine nigériane et lui dire leur amour, mais aussi leur reconnaissance. « Merci de parler des Africains autrement que sous l’angle de la guerre et de la pauvreté », lance une spectatrice dans la foule. Le public venu au débat de clôture a pu entendre cette féministe convaincue dire à quel point elle aime les histoires d’amour. Bien sûr, « le monde est misogyne, c’est dans l’air que nous respirons », mais elle réclame un droit : « Je veux pouvoir être tout ce que je suis. »
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu