L’Etat australien de Victoria a obtenu ce que peu de régimes, à part les dictatures, n’avaient réussi à imposer : un silence quasi total sur un événement impliquant une personnalité de premier plan. Les Australiens n’ont pas eu le droit d’entendre parler du verdict concernant les procédures judiciaires qui visent le cardinal George Pell pour des dossiers d’agression sexuelle sur mineur.
L’argentier du Vatican, âgé de 77 ans, le plus haut représentant de la curie romaine jugé pour des faits d’agression sexuelle sur des mineurs, a été pourtant reconnu coupable par un jury dès mardi 11 décembre. Les médias n’ont pas pu en rendre compte jusqu’au 26 février.
Le 25 juin, le tribunal de Melbourne, devant lequel il a comparu, avait émis une ordonnance qui interdit, sous peine de prison, « toute couverture, totale ou partielle, de la procédure et de publier toute information découlant de la procédure ou tout document judiciaire relatif à la procédure ». Pour justifier cette mesure, le parquet a évoqué l’énorme retentissement de l’affaire et « le risque très réel et substantiel de porter atteinte à la bonne administration de la justice ». Le prélat étant jugé au cours de deux procès distincts, il existe également une crainte que le verdict du premier ait une incidence sur l’issue du second qui doit se dérouler à partir de février 2019. La décision connue, les médias pourront cette fois en donner les détails. Dans l’Etat du Victoria, ce type d’ordonnance est courant, à tel point que plus de la moitié des décisions intimant le silence à la presse émanent, sur l’île-continent, de ses tribunaux.
Le 13 décembre, le quotidien de Melbourne, Herald Sun, a barré sa « une » d’un « Censuré » en lettres capitales, sur fond noir. Le Daily Telegraph, à Sydney, a titré : « Un crime horrible. La personne est coupable. Il se peut que vous ayez déjà lu l’information en ligne. Malgré tout, nous ne pouvons pas la publier. » Le lendemain, plusieurs organismes de presse locaux ont réclamé la levée de cette mesure, mais leur demande a été rejetée par la justice et incluse dans l’ordonnance, dont il est interdit de révéler l’existence.
« Nous risquons jusqu’à cinq ans de prison ! »
Cette même ordonnance vise aussi « tout site Internet ou autre format électronique ou de diffusion accessible en Australie ». Dans un article, allusif et très général, le New York Times a expliqué ne pas pouvoir donner de détails, car « deux journalistes du Times qui ont couvert l’affaire seraient en danger ». Les agences de presse internationales, comme Associated Press, Reuters et l’Agence France-Presse, ont préféré ne pas en parler. « Pour nous, journalistes du Victoria, il est presque devenu normal de ne pas pouvoir faire notre travail, lâche un journaliste qui a requis l’anonymat. Nous ne comptons pas défier cette ordonnance tout simplement parce que nous risquons jusqu’à cinq ans de prison ! »
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