« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ». L’expression, qu’on pensait réservée au rendement des niches fiscales en France, trouve une illustration inattendue dans le domaine de l’imagerie satellitaire commerciale en accès libre. En décidant de flouter, dans sa déclinaison Yandex Maps, plusieurs centaines de sites sensibles en Turquie et en Israël – dont la superficie s’étend de quelques dizaines de mètres à des kilomètres carrés – le moteur de recherche russe parvient au résultat contraire de celui recherché.
Il suffit ainsi de repérer les petites taches floues qui parsèment des étendues de territoires de ces deux pays pour localiser lesdits sites sensibles, alors que ces mêmes zones ne sont pas « traitées » par d’autres services de cartographie comme Google Earth. Des bases aériennes, des centres de commandements nationaux, de l’OTAN et de grands édifices gouvernementaux se retrouvent ainsi soumises au filtre de Yandex, repéré par le chercheur Matt Korda, membre associé de la Fédération des scientifiques américains.
Des installations confirment leur nature
Mais loin d’être mises à l’abri des regards, d’autres installations confirment au contraire leur nature. Exemple parmi d’autres, ce bloc d’habitations d’Ankara, qui dépend des services secrets turcs et dont le rôle a été révélé dans une enquête menée par Le Monde et neuf médias internationaux dans l’enlèvement d’opposants à l’étranger.
Selon les registres de l’aviation civile turque et du registre commercial, on y trouve le siège d’une entreprise de tourisme et de construction qui sert en réalité de façade à l’Organisation nationale du renseignement (le MIT). Cette entreprise est propriétaire d’au moins deux jets privés de type Bombardier Challenger qui ont servi à des kidnappings ou des tentatives de kidnapping d’opposants au Kosovo et en Mongolie.
Vu de Google Earth, rien ne distingue cet ensemble de petits immeubles du quartier de Yenimahalle de son environnement immédiat. Sur Yandex, le périmètre est flouté…
En Israël, Matt Korda a ainsi pu confirmer la localisation d’une batterie de défense aérienne Patriot déployée sur le mont Carmel à Haïfa, dont il avait précédemment détecté les émissions radars à l’aide du service satellitaire Sentinel.
Un simple « survol » de la barrière de sécurité construite le long de la bande de Gaza permet aussi de localiser, côté israélien, l’emplacement précis d’installations dont la fonction n’est pas difficile à deviner…
Il paraît peu probable que Yandex ait pris cette initiative seul
Dans le contexte de coopération sécuritaire régionale qui réunit Russes et Turcs d’un côté, et Russes et Israéliens de l’autre, il paraît peu probable que Yandex ait pris cette initiative seul, sans des demandes spécifiques émanant de ces deux pays.
Mais l’initiative étonne s’agissant d’Israël : l’Etat hébreu est en théorie « protégé » depuis 1997 par la législation américaine et l’amendement dit Kyl-Bingaman, qui interdit à des sociétés américaines de publier des images d’une résolution supérieure à celles disponibles ailleurs sur le marché commercial.
Dans les faits, les mastodontes que sont Google Earth et Digital Globe, mais aussi Yandex, qui s’appuie sur des images fournies par Geo Eye ou Airbus, s’interdisent de « descendre » sous les deux mètres de résolution, ce qui ne permet pas de distinguer de détails. Par excès de zèle, voulu ou imposé, Yandex en montre plus en floutant ses images.
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