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Cannes 2018 : « Asako I & II », répétition amoureuse

En compétition, le réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi poursuit son exploration de l’âme humaine.

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Publié le 15 mai 2018 à 10h35, modifié le 16 mai 2018 à 08h39

Temps de Lecture 3 min.

De gauche à droite : l’actrice Erika Karata, le réalisateur Ryusuke Hamaguchi et l’acteur Masahiro Higashide au Palais des festivals, à Cannes, le 14 mai 2018.

Sélection officielle – en compétition

La révélation d’un cinéaste a toujours quelque chose d’émouvant quand elle se double du plaisir d’entrer dans son univers et de se familiariser pas à pas avec lui. C’est ce qu’il advient en ce moment avec Ryusuke Hamaguchi, cinéaste japonais actif depuis plus de dix ans, mais inconnu en France jusqu’à ce que ce mois de mai ne le mette doublement à l’honneur.

D’abord avec l’heureuse sortie en salle de son film-fleuve Senses, magnifique portrait d’un groupe d’amies à l’approche de la quarantaine. Puis par la présentation simultanée d’Asako I & II (Netemo sametemo), son film suivant, à Cannes, marquant son accession surprise au rang de la compétition. Proximité d’autant plus frappante que les deux films jouent sur un même registre intime et existentiel, celui d’un cinéma exclusivement occupé de relations humaines jusque dans leurs plus infimes articulations. Asako I & II, affichant la durée d’un long-métrage standard, s’avère une œuvre plus en demi-teinte, moins immédiatement impressionnante que Senses, mais non moins précise, romanesque et attentive aux évolutions de ses personnages. Hamaguchi délaisse les affres de la maturité pour se pencher sur des jeunes gens de 20 ans qui font leurs débuts dans la vie. Asako, étudiante sage et réservée d’Osaka, croise un beau et ténébreux jeune homme nommé Baku à la sortie d’une exposition, et tombe amoureuse de lui au premier regard échangé, dans la rue, à la faveur d’un ralenti acidulé. Scène au lyrisme délicat qui lance le film sur la piste provisoire d’une bluette post-adolescente, jusqu’à ce que le beau Baku disparaisse, laissant Asako sur le carreau.

Lire la critique de « Senses » : Un quatuor de femmes aux vies désaccordées

Deux ans plus tard, on la retrouve travaillant à Tokyo, dans une cafétéria d’entreprise, où elle rencontre Ryohei, sosie parfait de Baku (et pour cause, puisqu’il est interprété par le même comédien), mais à la personnalité beaucoup plus rangée. Elle refait sa vie avec lui et, avec le temps, déniche dans sa relation une autre forme d’amour, moins intempestive, plus profonde. Mais le passage d’une ancienne amie d’Osaka ravive en elle le souvenir de Baku, devenu un mannequin célèbre, et, avec lui, les taraudantes alarmes de la passion.

Une trace indépassable

Asako I & II, inégal dans la durée, captive avant tout par la finesse de son découpage, qui recueille comme une grande collection d’approches et gestes amoureux, à différents âges de l’existence, à mesure que l’intensité de la jeunesse s’estompe dans le cours calme de la vie active et du confort économique. Gestes déclinés au sein des couples successifs d’Asako, mais aussi parmi ceux des amis qui l’entourent, que ce soit à Tokyo ou à Osaka. La progression elliptique du film propulse les personnages dans une perspective de temps étendue, qui aide à mesurer la lente transformation et sédimentation des sentiments.

Mais sous cette apparente simplicité, le film est travaillé par un système de variations et d’échos qui le rendent, en profondeur, plus sinueux, plus contrarié. La ressemblance physique des deux amours d’Asako contribue, par contraste, à la scinder elle-même (d’où les « I & II » du titre) en deux, comme si la répétition de l’expérience amoureuse la conduisait à se perdre, malgré sa constance de façade. Histoire extérieurement banale et intérieurement insolite, à travers laquelle Hamaguchi décrit le cheminement amoureux comme l’éternelle réitération d’une impression initiale.

De gauche à droite : l’actrice Erika Karata, le réalisateur Ryusuke Hamaguchi et l’acteur Masahiro Higashide au Palais des festivals, à Cannes, le 14 mai 2018.

C’est une idée éminemment proustienne : le premier amour dépose en nous une trace indépassable après laquelle on ne cesse plus jamais de courir. Asako fait cette découverte fondamentale, que l’on n’aime jamais vraiment quelqu’un pour lui-même, mais pour ce qui se perpétue à travers lui de cette secousse inaugurale. Baku dans Ryohei ou Ryohei dans Baku ne sont autres que les deux temps d’une marche amoureuse qu’Asako exécute sans autre guide ou métronome que les seuls battements de son cœur.

Film japonais de Ryusuke Hamaguchi. Avec Masahiro Higashide, Erika Karata, Rio Yamashita (1 h 59). Sortie en salle prochainement. Sur le Web : mk2films.com/film/39194 et www.festival-cannes.com/fr/festival/films/netemo-sametemo

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