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Réparer les femmes excisées

Une étude française démontre pour la première fois que la reconstruction du clitoris permet aux victimes d'excision de moins souffrir, de retrouver leur identité et de s'épanouir sexuellement.

Par Sandrine Cabut

Publié le 14 juin 2012 à 15h21, modifié le 17 juin 2012 à 14h20

Temps de Lecture 4 min.

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C'est un pas de plus dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, et un espoir pour les millions de femmes qui en ont été victimes à travers le monde. Alors qu'un couple de Guinéens vient d'être condamné le 1er juin par la cour d'assises de la Nièvre à des peines de prison ferme (deux ans pour le père, dix-huit mois pour la mère) pour l'excision de leurs quatre filles, une étude française d'ampleur inédite confirme qu'une chirurgie reconstructrice peut diminuer sensiblement les douleurs de ces femmes et les aider à accéder au plaisir sexuel.

Engagé depuis trente ans dans le combat contre les mutilations sexuelles féminines, inventeur dans les années 1990 d'une technique chirurgicale pour les réparer, l'urologue Pierre Foldès (hôpital de Poissy - Saint-Germain-en-Laye) rapporte dans The Lancet (en ligne le 12 juin) les résultats de son expérience auprès de près de 3 000 femmes. Cette étude humanitaire et militante, financée par l'Association française d'urologie, est cosignée par le docteur Béatrice Cuzin (urologue, Lyon), qui a réalisé le suivi sexologique des patientes, et par la démographe Armelle Andro, de l'Institut national d'études démographiques (INED).

Quoique en régression dans le monde, grâce à une mobilisation internationale qui a fait progresser la prévention et appliquer des lois plus répressives, les mutilations sexuelles concernent encore un nombre inacceptable de femmes : 130 à 140 millions ces dix dernières années, dont 92 millions en Afrique. Les conséquences à long terme peuvent être lourdes sur les plans psychologique mais aussi sexuel et médical, avec notamment des douleurs et des complications lors des accouchements.

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Mutilation sexuelle la plus fréquente, l'excision est définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une "ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres". L'infibulation, plus rare, correspond à un "rétrécissement de l'orifice vaginal par la création d'une fermeture, réalisée en coupant et en repositionnant les lèvres intérieures, et parfois extérieures, avec ou sans ablation du clitoris".

Réalisable dans tous les cas où le clitoris est atteint, l'intervention - elle dure moins d'une heure - mise au point par le docteur Foldès consiste à reconstruire celui-ci à partir de sa partie profonde, non excisée. La portion cicatricielle est enlevée, le clitoris restant est libéré et le gland repositionné. Situation unique au monde, cette chirurgie est remboursée en France depuis 2004.

Dans une première étude, publiée en 2006, le chirurgien français avait démontré ses bons résultats anatomiques et l'amélioration à court terme de la fonction clitoridienne. La série prospective, publiée dans The Lancet, a inclus les 2 938 patientes opérées par Pierre Foldès à l'hôpital de Saint-Germain-en-Laye entre 1998 et 2009. Agées en moyenne de 29 ans, la plupart ont été excisées entre 5 et 9 ans dans un pays d'Afrique de l'Ouest : Mali, Sénégal, Côte d'Ivoire. Dans 564 cas, la mutilation a été réalisée en France. Avant l'intervention, toutes les jeunes femmes ont été interrogées sur leurs motivations ; leurs douleurs et leur satisfaction sexuelle ont été évaluées par une échelle en cinq points.

"Les attentes principales étaient, pour 99 % d'entre elles, de retrouver leur identité ; 81 % espéraient améliorer leur vie sexuelle, et 29 % soulager leurs douleurs clitoridiennes", soulignent les auteurs, qui insistent sur la complexité d'appréhender les symptômes de ces femmes. "Au départ, j'ai opéré pour soulager les douleurs, puis je me suis rendu compte que beaucoup de choses se cachent derrière des douleurs ", raconte Pierre Foldès. "Il peut y avoir une discordance entre l'importance des lésions cliniques et les traces psychologiques qu'elles laissent ", ajoute Béatrice Cuzin.

Un an après l'intervention, 866 femmes (29 %) ont été revues en consultation, une proportion à première vue modeste mais déjà remarquable dans un tel contexte. Le résultat anatomique s'avère satisfaisant, avec un clitoris externe normal ou visible dans 70 % des cas, palpable dans 24 % des cas. Mais c'est surtout au niveau fonctionnel que les bénéfices sont le plus démonstratifs.

Les douleurs se sont atténuées ou du moins ne se sont pas aggravées chez 821 des 840 femmes qui en souffraient. Plus de la moitié des patientes ressentent des orgasmes, et 30 % du plaisir sans orgasme. Ainsi, parmi les 368 qui n'avaient jamais éprouvé d'orgasme, 129 (35 %) y ont eu accès dans l'année qui a suivi la chirurgie. Au total, seulement 20 femmes décrivent une dégradation de leur plaisir sexuel. Des complications postopératoires (hématome, désunion de cicatrice, fièvre) sont survenues dans 5 % des cas.

"Ces résultats n'ont pas seulement des implications chirurgicales, mais aussi socioculturelles, anthropologiques et psychosexuelles", écrivent Patrick Petignat (hôpital universitaire de Genève, Suisse) et ses collègues dans un éditorial associé à l'article.

Cette publication dans un journal de référence, qui valide la technique, permettra-t-elle de la diffuser dans d'autres pays et de faire connaître cette possibilité aux principales intéressées ? Pierre Foldès, qui opère de dix à quinze femmes chaque semaine, a déjà formé des confrères en Europe et en Afrique. Mais pour l'instant, dans les pays qui en auraient le plus besoin, cette chirurgie reconstructrice n'est pas encore une priorité.

En France, de 55 000 à 60 000 femmes sont excisées, et environ 4 000 ont été opérées, estime la démographe Armelle Andro. "La situation est un peu nébuleuse dans notre pays, sans véritable recensement des centres qui pratiquent ces interventions, relève le docteur Béatrice Cuzin. L'idéal, en France comme ailleurs, serait de pouvoir organiser l'offre de soins avec quelques chirurgiens formés et des offres locales de rééducation. Il faut aussi prévoir un système d'évaluation."

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