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« L’adhésion de l’Académie française à la féminisation des noms n’est pas une reddition anecdotique »

Si le linguiste Bernard Cerquiglini salue, dans une tribune au « Monde », le rapport sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions, il estime que l’institution doit revoir ses méthodes.

Publié le 05 mars 2019 à 13h49 Temps de Lecture 4 min.

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Tribune. A son âge vénérable, la vieille dame du quai de Conti épouse enfin son siècle, nous offrant au passage un salto arrière dont la virtuosité force l’admiration. Qu’on en juge : les formes « professeure », « auteure », « docteure », « agente », « cheffe », « maîtresse de conférence », « écrivaine », « autrice », « une ministre », qualifiées avec une hautaine constance depuis trente ans et, hier encore, d’« aberrations lexicales », de « barbarismes », d’atteintes « à l’oreille comme à l’intelligence grammaticale », sont benoîtement admises par le rapport qu’elle a récemment adopté sur la féminisation. Clé de voûte du dogme puriste, la notion de « masculin neutre, ou non marqué », répétée ad nauseam pour refuser d’inscrire l’identité féminine dans le nom du métier, n’est plus évoquée : le discours d’autorité grammairienne le cède à l’humble constat de l’usage. Un usage qu’en France l’Académie était la dernière à ne pas suivre.

Ne s’encombrant pas de remords, la Compagnie s’extrait avec élégance de l’impasse où l’avaient fourvoyée la flamboyante misogynie de quelques messieurs et l’ignorance de l’histoire de la langue (laquelle a féminisé toutes les professions et fonctions, jusqu’à la minoration des femmes commise par la société bourgeoise). Car cette innovation linguistique conforme au génie de la langue et socialement juste prit naissance au Québec (avant d’atteindre la Belgique puis la Suisse) : Maurice Druon a-t-il assez fustigé les Huronnes écervelées ? La francophonie est un paradoxal chagrin pour une Compagnie qui doit se réjouir de l’universalisation de la langue française, mais ne peut que s’alarmer devant l’autonomie de ses locuteurs. « Le français s’est au fond émancipé de la France », a reconnu avec courage le président de la République ; il s’est également émancipé de son instance de prescription.

La fin d’une crise d’identité

L’adhésion académique à la féminisation n’est pas une reddition anecdotique : marquant la fin d’une crise d’identité, que masqua longtemps un autoritarisme aveugle, elle est le crédit enfin donné à la vitalité d’une langue mondiale. Ce qui n’est pas sans conséquence.

Epouser son temps n’est point seulement en valider la langue ; c’est penser à nouveaux frais une mission pluriséculaire. Fondée pour « donner des règles certaines à notre langue », l’Académie accomplit sa tâche, avec prudence souvent, avec une belle audace parfois, jusqu’à l’aube de la modernité ; gardant sa puissance symbolique, elle est entrée depuis dans l’ère du doute. Sous le protocole majestueux, la fonction devient indécise. La Compagnie, dans son rapport, se dit à la fois « greffier de l’usage » (greffière ?), et « gardienne du bon usage de la langue » : elle ne pourra éviter une réflexion de fond sur l’articulation des deux. Comme elle devra s’interroger sur le statut de la norme face à la variation mondiale de l’idiome : ce que firent avec succès les académies hispaniques. Elle devra enfin prendre en compte la diversité des prescripteurs actuels (les médias, notamment), au nombre desquels elle doit se résigner à prendre une place, tout éminente qu’elle soit.

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