Dans l’épais dossier de la documentation du Monde, le baron Edouard-Jean Empain a « vécu » de la fin des années 1960 au mitan des années 1980, soit une naissance médiatique à 30 ans et une disparition à 50. Edouard-Jean Empain est mort, mercredi 20 juin à l’hôpital de Pontoise (Val-d’Oise). Il était âgé de 80 ans.
Le trentenaire qui occupe, en 1967, la « une » des pages « économie » du journal vient tout juste de prendre la présidence du groupe belge qui porte son nom. On qualifie alors poliment d’« original » cet homme à l’allure sportive, au visage juvénile, à la réputation de play-boy et au faible niveau d’études – il a tout juste le baccalauréat – qui vient de reprendre les rênes du groupe industriel fondé par son grand-père, Edouard. Premier baron du nom, cet ingénieur belge avait bâti sa fortune en misant à la fin du XIXe siècle sur l’électricité et les transports. Proche du roi Léopold II, il avait investi au Congo et surtout en Egypte, où il fonda Héliopolis. En France, il avait obtenu la concession du métro parisien.
Son petit-fils Edouard-Jean, dit « Wado », naît en 1937 à Budapest et grandit jusqu’à l’âge de dix ans derrière les murs d’une propriété de 100 hectares, à Bouffémont (Val-d’Oise), dans la région parisienne, entouré de précepteurs et du silence pudique de sa famille sur les compromissions de son père avec les Allemands pendant la seconde guerre mondiale. Au décès de celui-ci, en 1946, sa mère épouse le rival et neveu de son mari, prénommé lui aussi Edouard, devenant ainsi baronne Empain pour la seconde fois. Vingt ans plus tard et après diverses péripéties familiales, son fils Edouard-Jean est désigné comme successeur. Le jeune héritier qui, jusque-là, s’intéressait surtout aux femmes, aux belles voitures et au jeu, se mue aussitôt en conquérant industriel.
Une phalange coupée
Contre la volonté du président Georges Pompidou, il prend le contrôle du groupe Schneider et s’intéresse au secteur nucléaire en acquérant du groupe américain Westinghouse la licence pour la construction de réacteurs. Revenu en grâce sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Edouard-Jean Empain, qui s’est entre-temps assuré du pouvoir au sein du groupe Creusot-Loire, obtient l’appui décisif de l’Elysée pour se voir confier en 1975 le monopole de la construction des réacteurs nucléaires.
Sa vie bascule le matin du 23 janvier 1978. A la sortie de son domicile, avenue Foch, à Paris, Edouard-Jean Empain est enlevé par deux hommes encagoulés. Son chauffeur, relâché porte Maillot, donne l’alerte. Le lendemain, l’enlèvement du baron Empain est revendiqué par les Noyaux armés pour l’autonomie populaire (NAPAP), qui demandent en échange la libération de deux membres de la Fraction armée rouge en Allemagne. Le gouvernement est en émoi, mais la piste des NAPAP est vite écartée au profit d’une affaire de grand banditisme. Trois jours après l’enlèvement, ses ravisseurs exigent une rançon de 90 millions de francs. Pour prouver leur détermination, ils coupent une phalange de leur otage qu’ils déposent dans une consigne de la gare de Lyon avec sa carte d’identité.
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