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Valérie Trierweiler et les vases de Sèvres : itinéraire d'une intox

Partie de blogs proches de l'extrême droite, une fausse information sur une rixe à l'Elysée s'est propagée en deux jours, grâce au relais de sites d'information peu scrupuleux.

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Publié le 23 janvier 2014 à 12h24, modifié le 24 janvier 2014 à 15h23

Temps de Lecture 6 min.

C'est un classique en politique, et, hélas, dans les médias. Une « rumeur » fait état d'une scène de ménage houleuse à l'Elysée qui se serait soldée par la destruction de trois millions d'euros de mobilier national, rien que ça.

A l'origine : une intox parmi des milliers d'autres. Anonyme, confidentielle, sans importance. Puis le bruit s'est amplifié, légitimé par petites touches successives à mesure qu'il s'est diffusé via des canaux de plus en plus gros, de plus en plus crédibles.

La rumeur a pris une telle ampleur que le Mobilier national, gestionnaire des objets de l'Elysée, a été contraint de démentir. Itinéraire d'un canular. 

1. D'où part cette rumeur ?

Le monde politique grouille de rumeurs. Celle d'une violente dispute du couple présidentiel a ainsi fait le tour du microcosme, selon l'expression consacrée. On trouve d'ailleurs une allusion à un «vase brisé », dans une citation - anonyme - d'un « visiteur du soir régulier de l'Elysée » dès le 19 janvier dans le journal britannique Daily Telegraph. Mais personne n'évoquait alors « trois millions d'euros de dégâts ». Et surtout, personne n'avait fait de ce bruit de couloir parmi tant d'autres un fait avéré.

Comment passe-t-on d'un bruit de couloir à « trois millions d'euros de dégâts » ? Grâce à quelques militants décidés à faire « buzzer » cette intox. La  trace la plus ancienne que l'on peut remonter figure sur un blog militant, visiblement proche du collectif Hollande démission, et intitulé « Debout les patriotes de France » . Il publie, le 20 janvier, un billet racontant cette histoire. En résumé :

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l'information vient « d'une amie qui elle-même est amie avec un général en active... » ;

elle-même précise que « les faits sont rapportés par un haut fonctionnaire du Mobilier national – condisciple d'un ami ».

Comme le relève Hoaxbuster, site spécialisé en vérification de rumeurs, nous lisons donc ici le récit fait par un anonyme, qui le tient d'une amie, elle-même proche « d'un général d'active », qui lui-même aurait eu l'information par un ami proche d'un  « fonctionnaire du Mobilier national »...

Du  « fonctionnaire du mobilier national » et témoin plausible à à ce message, on a donc au moins trois relais, tous anonymes. Un classique des intox.

Quant aux informations de la rumeur, qui raconte que la compagne du président aurait, dans un accès de rage, détruit pendules, vases de Sèvres, guéridons, fauteuils, etc., elles sont fort peu plausibles : HoaxBuster en fait une démonstration détaillée.

2. Comment se propage cette rumeur ?

Ce billet de blog, qui fait penser, par sa typographie, à un copier-coller de mail, passe jusque-là plutôt inaperçu. Mais il n'est pas seul. C'est là encore un classique dans ce type de rumeur, le même message copié-collé se propage dans les commentaires de plusieurs sites ou blogs, souvent assez fréquentés par des internautes proches de l'extrême droite, par exemple celui d'Ivan Rioufol, éditorialiste du Figaro. On retrouve aussi, dès le 20 janvier, quelques mentions de la rumeur sur les réseaux sociaux.

Mais c'est un autre blog qui va véritablement lancer le buzz pour de bon, comme le racontent Les Inrockuptibles, qui ont, les premiers, démenti la rumeur : lecolonel.net, un site tenu par Régis Ollivier, ancien militant RPR, et contributeur actif au « site citoyen »  anti-Hollande Union républicaine. Depuis, il a suspendu son blog (le billet est encore accessible ici).

Lui-même prend quelques menues précautions. Visiblement totalement ignorant de la législation en matière de publication sur le Web, il précise en introduction : « Je vous livre ici un témoignage brut de décoffrage issu de ma page Facebook. Ce témoignage est en mode public. Je précise que tout ceci est, pour moi, au conditionnel, en attendant d'autres révélations toutes aussi….. fracassantes. Les faits sont-ils avérés ? L'histoire nous le dira certainement ».

La source du « colonel » est donc… sa page Facebook. Il l'assume et s'en explique aux Inrockuptibles : « C'est une information qui avait été publiée par un de mes abonnés sur ma page Facebook. Après avoir réfléchi durant une nuit, j'ai décidé de publier cette information. » Quant à la vérification de l'authenticité des faits, il précise « Je ne suis pas journaliste, j'ai trouvé que le récit était suffisamment détaillé pour être publié en l'état, tout est à prendre au conditionnel, hein ». On appréciera le sérieux.

Là encore, c'est un grand classique. Celui qui propage la rumeur admet qu'il n'a pas d'informations sourcées, mais diffuse tout de même au nom du « il n'y a pas de fumée sans feu », principe selon lequel l'information est peut-être exagérée, mais ne saurait être entièrement fausse.

3. Quand la presse s'en mêle

Jusqu'ici, la rumeur est restée confinée à quelques sphères militantes du Web. Mais elle s'est rapidement répandue. La note du « colonel » a connu un succès certain sur Twitter.

Mais le mardi 21, un média tenu par des professionnels va à son tour la reprendre à son compte. Economie matin publie un article, signé de Jean-Baptiste Le Roux, ancien journaliste de Valeurs actuelles passé par Causeur, et par ailleurs animateur sur Radio Notre-Dame. M. Le Roux ne se cache pas de reprendre un bruit sans aucune vérification : « une rumeur court depuis ce mardi sur Internet », écrit-il, précisant plus loin : « Un témoignage, anonyme, évidemment », ou encore « il y a fort à parier qu'une telle rumeur ne sera sans doute jamais confirmée, et reléguée au rang des secrets de l'histoire ».

Bref, M. Le Roux se contente de recopier un billet de blog anonyme reprenant une rumeur anonyme, sans faire l'effort minimum de vérifier une seule information. Pourtant, en donnant à ce bruit sans fondement l'écrin d'un site sérieux, il lance la machine infernale.

L'article d'Economie Matin va en effet faire passer la rumeur de quelques cercles militants à un public bien plus vaste. Les réseaux sociaux jouent à plein. Ainsi, l'article est partagé plus de 34 000 fois sur Facebook, et plus de 1 500 fois sur Twitter, en moins de 24 heures. Il est également massivement diffusé sur les forums de discussion.

4. Un fort relais militant

D'autres sites s'en emparent, notamment au sein de la « réinfosphère », cette galaxie de sites au carrefour entre droite dure et extrême droite. Et, en quelques heures, la fausse information est relayée par des dizaines de supports en ligne. En tapant les premières lignes de la première phrase du texte, « quelques mots sur la femme de ménage qui a… », on trouve pas moins de 445 occurrences.

Dans la plupart des articles, on renvoie vers un média plus « légitime » qui aurait posté l'info : Economie matin, bien entendu, mais aussi Yahoo! (en réalité, le texte a été posté dans la section « Questions et réponses » du portail, où les internautes peuvent s'interroger entre eux – encore une fois une méthode classique pour donner de la visibilité à un canular). Sur les forums de Boursorama, un anonyme demandait d'ailleurs, le 21, aux internautes, de « taper Trierweiler scène sur Google News », car « cela fera remonter l'info ».

Et l'info remonte, effectivement, aidée en cela par des pratiques bien peu scrupuleuses de certains sites pourtant supposés professionnels. Ainsi, Staragora, qui avait repris la rumeur, s'est contenté, après le démenti du Mobilier national, d'ajouter un paragraphe, sans changer le titre de son article, pourtant faux. Une pratique visant bien souvent à conserver le trafic généré par cette rumeur.

On peut d'ailleurs, à cet égard, méditer sur ce tweet, publié mercredi 22 au soir par le cofondateur d'Economie Matin, Jean-Baptiste Giraud, où il se félicite de ses très bons chiffres d'audience :

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