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« En Italie, la culture du compromis a disparu, au profit d’une culture de l’affrontement »

Jérôme Gautheret, correspondant du « Monde » en Italie, a répondu à vos questions sur la crise politique en Italie.

Par  (Rome, correspondant)

Publié le 28 mai 2018 à 18h22, modifié le 29 mai 2018 à 06h42

Temps de Lecture 6 min.

Le président italien Sergio Mattarella (à gauche) accueille Carlo Cottarelli au Quirinal, à Rome, le 28 mai.

L’Italie s’enfonce encore un peu plus dans une crise politique et institutionnelle. Alors que le pays est sans gouvernement depuis les élections législatives de mars, le président de la République Sergio Mattarella a mis son veto dimanche 27 mai à la nomination d’un ministre des finances, Paolo Savona, ouvertement anti-euro.

Face à cette décision, Giuseppe Conte, choisi par le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) et la Ligue (extrême droite) pour occuper la fonction de président du Conseil a renoncé à former un gouvernement. M. Mattarella a ensuite chargé Carlo Cottarelli, ancien responsable du Fonds monétaire international (FMI), de tenter de former un gouvernement technique qui aurait à gérer les affaires courantes du pays, notamment l’élaboration du budget 2019.

Tout juste désigné président du conseil, M. Cottarelli a annoncé la tenue d’élections anticipées au plus tard « début 2019 ».

Jérôme Gautheret, correspondant du Monde en Italie, a répondu à vos questions sur cette crise politique en Italie.

Isa : Les Italiens votent. Deux partis arrivent en tête et finissent par s’accorder sur un gouvernement. Mais le président trouve qu’un ministre ne fait pas l’affaire et bloque tout. N’y a-t-il pas là un problème de démocratie ?

Jérôme Gautheret : On peut effectivement le voir comme ça… Formellement il n’y a pas eu blocage du président Mattarella, mais refus de la part de la coalition soutenant Giuseppe Conte d’écouter les réserves que le président avait sur une personne, à savoir le ministre de l’économie que voulait installer la Ligue. La singularité, c’est que la Ligue a refusé de tenir compte de l’avis du président, et a préféré faire sauter l’accord conclu avec les 5 étoiles. Si elle s’est comportée de cette manière, c’est forcément parce qu’elle jugeait que de la sorte, le bénéfice politique serait plus important pour elle.

Kate : La question de la destitution de ce président qui, en quelque sorte, s’oppose au résultat du suffrage universel, va-t-elle se poser ?

Jérôme Gautheret : Elle peut se poser en cas de haute trahison ou de crime contre la Constitution, qu’il faudrait établir. Le Parlement peut le mettre en accusation, il dispose de la majorité nécessaire. Mais le jugement relève de la Cour constitutionnelle, et d’un processus judiciaire. C’est très hasardeux.

Bloub : Le veto de Mattarella ne risque-t-il pas d’aggraver la défiance des Italiens vis-à-vis des instances européennes « technocrates » et donc de faire gonfler le score des eurosceptiques encore davantage ?

Jérôme Gautheret : Si, c’est le principal risque politique. A court terme. Mais le péril le plus urgent est la panique financière, que personne ne décrète et qui est très difficile à enrayer une fois installée. Et là il s’agit du quotidien des Italiens.

La plupart des crédits immobiliers, en Italie, sont à taux variables. Or une hausse du « spread » entraînera mécaniquement une hausse des traites de chacun. Ce phénomène peut avoir l’effet inverse, et inciter les Italiens à ne pas rajouter l’incertitude à l’incertitude… et puis une telle crise a forcément des aspects irrationnels. Autrement dit : ce qui est vrai demain peut se révéler complètement faux dans un mois.

Sergio : Le président Mattarella n’est-il pas finalement l’homme fort de cette crise italienne ? Et, plus précisément, ne pourrait-il pas maintenir un gouvernement technique (et donc ne pas organiser de nouvelles élections) jusqu’à la fin de son mandat ?

Jérôme Gautheret : Non, c’est impossible. Il faut un mandat politique pour répondre aux obligations internationales du pays, et faire un certain nombre de choix politiques, qui nécessitent une majorité claire. Le retour aux urnes est donc obligatoire. Au début de l’année prochaine, en cas de trêve politique, ou au début de l’automne, ce qui est plus probable.

Nicola : A-t-on des raisons factuelles de la part M. Mattarella qui permettent de justifier de façon « démocratique » le refus d’avoir Paolo Savona en ministre de l’économie ?

Jérôme Gautheret : Sergio Mattarella évoque le fait que le choix de Paolo Savona revient à mettre sur la table un sujet (l’euro) qui n’a jamais figuré dans la campagne électorale, et ne figure pas dans le « contrat de gouvernement » noué par la Ligue et les 5 étoiles. Il s’exprime en tant que gardien des institutions, parce qu’il estime qu’elles sont en danger. En cela, il a un rôle de contre-pouvoir qu’il est inutile de contester, vu qu’il existe bel et bien. Au-delà de cela, Sergio Mattarella avait parfaitement le droit de décider ce qu’il a décidé, et il y a suffisamment de précédents pour que ce soit établi. La Ligue pouvait y répondre ne proposant un autre candidat, ce qui n’a rien d’exceptionnel. Mais elle a sans doute pensé qu’elle avait intérêt à la crise.

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Auguste : La Ligue et le M5S s’attendaient-ils à un blocage du président ? Ce ministre de l’économie est-il si important pour eux ?

Jérôme Gautheret : S’ils avaient voulu refuser l’obstacle, il était très facile et indolore de le contourner, et personne n’en aurait rien su. Après tout, Giancarlo Giorgetti aurait fait un très bon ministre pour la Ligue, à la fois fidèle à la doctrine de Salvini et apprécié des milieux d’affaires, sans compter qu’il était nettement plus jeune que Savona. Sans doute Matteo Salvini a-t-il jugé qu’il tirerait un plus grand profit politique d’un affrontement au grand jour avec Mattarella. D’un point de vue tactique, d’ailleurs, c’est parfaitement joué.

Cola Di Rienzo : J’ai lu un article de La Repubblica disant que la Ligue a vampirisé le M5S dans la mesure où ce dernier a fait presque le double aux élections que la Ligue. Qu’en pensez-vous ? Le M5S ne montre-t-il pas son manque d’expérience ?

Jérôme Gautheret : De fait, on a beaucoup plus parlé du programme de la Ligue que de celui des 5 étoiles parce que celui de Luigi Di Maio est nettement plus « raisonnable » économiquement que celui de Matteo Salvini. Ils étaient en accord sur deux points, la réforme des retraites et le durcissement de la politique envers les migrants. Pour le reste, ils se sont contentés d’ajouter leurs revendications les unes aux autres, jusqu’à aboutir à un programme politique parfaitement incohérent. Dans les arbitrages, les mesures prônées par la Ligue se voient plus, parce qu’elles sont plus spectaculaires. Sans doute est-ce parce que les négociateurs de la Ligue sont plus chevronnés. Je vois aussi une autre raison : le projet des 5 étoiles se situe à un autre niveau, celui des pratiques démocratiques et de la société civile. On ne se penche jamais assez sur cet aspect des programmes…

Jack : En cas de nouvelles élections, la Ligue et le M5S feront-ils course commune ? Y ont-ils intérêt ?

Jérôme Gautheret : Ils devraient, vu qu’ils ont ensemble un accord de gouvernement, et un programme qui, s’il ne contient pas grand-chose de concret, a le mérite d’exister. Mais le bénéfice à courir séparément sera sans doute plus grand. La Ligue va même sans doute chercher à renouer avec Forza Italia (le parti de Silvio Berlusconi) pour profiter à plein de la loi électorale. Même si, dans les faits, leurs lignes politiques sont apparues comme parfaitement inconciliables.

Réda : Une situation similaire a t-elle déjà été observée en Italie (ou en Europe) ?

Jérôme Gautheret : Rien, dans l’histoire italienne, ne ressemble à ce qui se déroule actuellement. Les institutions n’ont pas changé, mais les hommes, si. La République italienne a été pensée pour que le Parlement soit un lieu de discussions et de compromis, afin de réparer les blessures de la guerre et de faire naître une véritable communauté nationale. Aujourd’hui cette culture du compromis a disparu, au profit d’une culture de l’affrontement. Or les institutions, elles n’ont pas changé… d’où le blocage, dont chacun est responsable.

Julie : Y a-t-il un risque que l’Italie organise un référendum sur l’euro et sorte de l’Union européenne ? Et quelles conséquences pour l’Europe et la France ?

Jérôme Gautheret : Peut-être… En tout cas, la Ligue comme les 5 étoiles n’avaient pas fait campagne sur cette question lors des élections législatives de mars, donc il est très aventureux de présenter le résultat du 4 mars comme une victoire des eurosceptiques. En février, j’ai interrogé personnellement Luigi Di Maio, qui m’a assuré qu’il était « proeuropéen » et soutenait les projets de réforme d’Emmanuel Macron. Autrement dit : il y a trois mois, l’heure n’était vraiment pas aux discours anti-euro.

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