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En France, « la transparence sur les exportations d’armes est quasi inexistante »

Parlement impuissant, système décisionnel obscur, opinion publique peu mobilisée… La vente d’armes françaises se fait de manière discrète, voire secrète.

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Publié le 16 avril 2019 à 18h03, modifié le 16 avril 2019 à 20h49

Temps de Lecture 4 min.

Que sont devenues les armes françaises vendues à l’Arabie saoudite ? D’après une enquête publiée lundi 15 avril par le collectif de journalistes français Disclose, en partenariat avec d’autres médias, elles sont « massivement utilisées dans la guerre au Yémen » et notamment « contre des civils ». Une accusation qui entre en contradiction avec les déclarations que faisait, le 20 janvier sur France Inter, la ministre des armées, Florence Parly, assurant n’avoir « pas connaissance du fait que des armes [françaises] soient utilisées directement au Yémen ». Pourtant, d’après la note « confidentiel-défense » de la Direction du renseignement militaire, des armes françaises sont bien utilisées de façon offensive sur le terrain de guerre yéménite et la ministre avait reçu ce document. Preuve, s’il en fallait, que le secret autour des exportations d’armes est une tradition française – favorisée par une presse peu encline à les remettre en question.

« Il y avait un désintérêt manifeste des Français et des médias sur cette question »

« En France, il n’y a pas de pression médiatique ou publique, même si ça change depuis la guerre au Yémen. La couverture médiatique a longtemps consisté à se féliciter de la signature des contrats », souligne Lucie Béraud-Sudreau, chercheuse en économie de la défense à l’Institut international des études stratégiques (IISS). Présentés comme de puissants alliés de la croissance économique, les contrats d’armement ont longtemps eu bonne presse. Alors, « il y avait un désintérêt manifeste des Français et des médias sur cette question », estime Aymeric Elluin, responsable de la campagne « Armes et impunité » d’Amnesty International. Mais, pour lui, l’origine de ce désintérêt est à chercher du côté des parlementaires.

Bombardements près de la capitale yéménite, Sanaa, en 2015.

Le Parlement impuissant face aux ventes d’armes

A l’exception de la France, tous les pays qui vendaient des armes à l’Arabie saoudite ont débattu du bien-fondé de ces transactions financières. L’Espagne, l’Allemagne ou encore le Danemark ont accueilli des débats houleux sur cette question. Mais « au Parlement français, il n’y a jamais eu le moindre débat ou la moindre discussion », regrette Sébastien Nadot, député de la Haute-Garonne (ex-LRM). Depuis plus d’un an, ce député, considéré comme le premier « frondeur » de La République en marche, alerte sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Mais l’homme politique se heurte à un mur de silence. La chercheuse Lucie Béraud-Sudreau confirme : « Le Parlement n’a pas du tout son mot à dire sur ces sujets-là. »

« La transparence [sur ce sujet] est quasi inexistante dans notre pays »

Une fois par an, le Parlement reçoit un rapport sur les exportations d’armement de la France. Ce dernier recense les contrats passés, le montant des transactions par pays ou les licences délivrées. Mais, pour le député Sébastien Nadot, il s’agit d’une « vaste fumisterie » qui ne permet pas aux parlementaires de se saisir de cette question. Cette opacité est aussi critiquée par Aymeric Elluin d’Amnesty International. Pour lui, « la transparence [sur ce sujet] est quasi inexistante dans notre pays ». Par ailleurs, l’organisme qui s’occupe de la délivrance des licences d’export d’armes, la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), ne communique pas sur ses méthodes. D’après Aymeric Elluin, il est impossible de savoir si elle a refusé des licences et pourquoi, ou encore sur quels motifs elle en a octroyé.

Une exception française

Outre-Manche, le rapport annuel donné au Parlement britannique présente des cas d’étude. Ils permettent aux parlementaires de comprendre les rouages des autorisations de licences d’export d’armes. Le manque de transparence du gouvernement français inquiète les ONG et certains députés, mais la chercheuse Lucie Béraud-Sudreau tempère : « Il faut que certaines informations restent confidentielles, car c’est un marché concurrentiel, mais aussi un enjeu de souveraineté des Etats. Il est normal qu’ils ne souhaitent pas dévoiler leur force militaire ou exposer sur la place publique les pays à qui ils ont refusé des licences pour éviter des crises diplomatiques. »

« Il faut que cette problématique soit politisée comme en Allemagne ou en Suède »

Elle évoque cependant le système suédois, où une commission parlementaire intervient quand l’exportation pose question. Leurs débats restent secrets, mais le Parlement a ainsi un pouvoir de contrôle. « La situation en France est révélatrice d’un grand déséquilibre entre le législatif et l’exécutif. La réalité, c’est que, sur les ventes d’armes, il n’y a aucun contrôle du Parlement », regrette Sébastien Nadot.

Des patients yéménites attendent de recevoir des soins dans un hôpital de Sanaa dépassé par l’épidémie de choléra, en mai 2017.

Pour Lucie Béraud-Sudreau, si l’intérêt médiatique pour les exportations d’armes perdure, les choses évolueront en France. « Il faut que cette problématique soit politisée comme en Allemagne ou en Suède où les partis politiques se positionnent tous différemment sur cet enjeu. Si ça devient un enjeu politique, l’exécutif ne prendra plus ces décisions seul », explique-t-elle.

Pour le moment, les services du premier ministre, Edouard Philippe, sont restés sur la ligne du gouvernement en affirmant ne pas avoir « connaissance de victimes civiles résultant de l’utilisation [d’armes françaises] sur le théâtre yéménite ». Mais d’après le récent sondage de Yougov commandé par l’association Sumofus, les Français attendent un changement de méthode : 72 % des personnes interviewées estiment qu’il faut renforcer le rôle du Parlement dans le contrôle des ventes d’armes en France.

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