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Fumer nuit gravement à la santé des poissons

La pollution des mégots, dont une grande quantité finit dans les océans, a des conséquences néfastes sur la biodiversité aquatique.

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Publié le 17 juillet 2018 à 17h28, modifié le 17 juillet 2018 à 17h28

Temps de Lecture 4 min.

Des mégots de cigarettes jonchant le sol.

Deux milliards de mégots environ (350 tonnes) sont ramassés chaque année à Paris. 500 millions à Marseille et 200 millions à Bordeaux. Les chiffres du ministère de la transition écologique et solidaire donnent une idée de l’enjeu écologique que cette pollution urbaine représente. Car nombre de ces déchets toxiques finiront dans les fonds marins et océaniques.

Une fois l’ultime bouffée de cigarette ingérée, son abandon sur le trottoir signe potentiellement le début d’un long périple. Certains mégots n’échappent pas aux aspirateurs des agents de nettoyage urbains. Pour les rescapés, le ruissellement de la pluie suffit pour provoquer une chute par le caniveau, malgré les grilles dont certaines sont dotées. « Ces grilles réduisent fortement la concentration de déchets dans les eaux pluviales ou les rejets urbains de temps de pluie, mais laissent passer quantité de mégots », souligne Johnny Gasperi, maître de conférences au Laboratoire eau, environnement et systèmes urbains (LEESU, université Paris-Est-Créteil et Ecole des Ponts ParisTech). Ces mailles franchies, le destin des mégots dépend du type de réseau de drainage des eaux qu’ils ont à traverser.

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Le réseau d’assainissement « unitaire » achemine eaux domestiques et pluviales vers la même station d’épuration. « Quasiment tous les vieux centres historiques sont équipés d’un réseau unique, précise Johnny Gasperi. Paris intra-muros et la première couronne sont dans ce cas. » Le mégot chemine donc vers la station d’épuration, mais sa course est arrêtée juste avant de franchir la ligne. « Les stations font d’abord un dégrillage de l’eau pour évacuer tous les macrodéchets. » Et les mégots, ainsi que tous les autres détritus pêchés (résidus de plastique, cotons-tiges, etc.), finissent alors brûlés ou dans un centre d’enfouissement des déchets.

Les choses se compliquent en cas de grosse averse. « Lorsqu’une grande masse d’eau arrive, le surplus est stocké dans des cuves. Mais une fois ces ouvrages saturés, le trop-plein est directement déversé dans les cours d’eau. », explique le spécialiste. A Paris, ces eaux non-traitées se retrouvent dans la Seine. Et les mégots avec.

Le réseau séparatif, quant à lui, draine les eaux domestiques et les eaux pluviales via des canaux distincts. « Les nouveaux quartiers ou les extensions de centres-villes très récents en sont quasiment tous équipés. », affirme Johnny Gasperi. Dans ce système, seules les eaux domestiques sont soumises au traitement en station d’épuration. « Les eaux de pluie – chargées des détritus amassés – sont déversées dans les cours d’eau généralement sans être traitées. »

Et une fois que les mégots plongent dans un cours d’eau, aucun filtre n’entrave leur course jusqu’à l’océan.

Déchets dangereux

« Lorsque les mégots se décomposent dans le milieu naturel, le relargage de polluants est alors direct », note l’enseignant-chercheur. Une récente étude menée à l’Université technique de Berlin estime qu’un mégot de cigarette peut contaminer jusqu’à 1 000 litres d’eau.

Les résidus de cigarette sont composés d’un cocktail d’éléments chimiques, parmi lesquels des métaux lourds (cadmium, plomb, chrome, mercure), du goudron et de la nicotine. Sans oublier le filtre lui-même, souvent fabriqué à partir d’acétate de cellulose, une matière plastique non biodégradable.

« La nicotine, nous apprend l’étude allemande, est utilisée en tant qu’insecticide depuis le XVe  siècle. Son emploi [en tant que pesticide] est très encadré aux Etats-Unis, au Canada et en Europe à cause de sa toxicité sur la biodiversité aquatique. » Or, cette molécule est très soluble dans l’eau. En septembre 2017, un rapport d’étude de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) classe les mégots comme « déchets dangereux ». C’est notamment « le contenu en nicotine, substance analysée au cours des investigations, [qui] conduit au classement des mégots au titre de la propriété HP 6 (toxicité aiguë) », précise le rapport.

Poissons et micro-organismes aquatiques, fumeurs passifs

L’étude de l’INERIS met notamment en évidence la toxicité des mégots sur des micro-organismes aquatiques (bactéries, microcrustacés, micro-algues) à partir d’« évaluations par essais ». Certains résultats sont éloquents : le microcrustacé Ceriodaphnia dubia ne parvient plus à se reproduire après 96 heures en présence de seulement 0,06 % de l’éluat réalisé à partir de mégots broyés. La croissance des micro-algues P. subcapitata, quant à elle, est paralysée après 72 heures en contact de 0,77 % de l’éluat. Ces essais écotoxicologiques conduisent également à attribuer aux mégots « la propriété de danger HP 14 (écotoxique) ».

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Les poissons font aussi partie des victimes de cette pollution des eaux. Un seul mégot de cigarette peut suffire à décimer la moitié d’une population de poissons nageant dans un litre d’eau. C’est ce qu’affirment des chercheurs de l’Université d’Etat de San Diego, en 2011, dans une étude menée sur des poissons marins (Atherinops affinis) et d’eau douce (Pimephales promelas).

Les travaux sur la pollution des eaux par les mégots de cigarette, longtemps considérée comme négligeable, sont encore peu nombreux. Mais le sujet agite de plus en plus la communauté scientifique. Le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) est partenaire d’un projet de recherche européen dont l’un des volets vise précisément à mesurer l’impact que pourraient avoir les mégots sur les espèces marines.

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