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Pierre Mornet

Belinda Cannone : « Mon chêne, repère de mon territoire intime »

Par Belinda Cannone
Publié le 04 août 2018 à 10h00, modifié le 04 août 2018 à 10h00

Temps de Lecture 5 min.

Les Japonais ont un mot, shakkei, ou « paysage emprunté », pour désigner les ouvertures visuelles qu’ils ménagent dans leurs jardins afin de profiter des plus lointains spectacles naturels.

Cette notion, qui évoque un plaisir esthétique, pourrait être étendue en vue d’une désappropriation générale du monde vivant : tout paysage est pour tous, potentiellement, shakkei, et devrait à ce titre n’être considéré comme la propriété de personne. Quand la Terre présentait une si abondante couverture végétale qu’on croyait celle-ci inépuisable, on pouvait bien posséder un morceau de nature – arbre ou forêt par exemple. Mais aujourd’hui que nous savons la nature en grand péril ? Dans le Cotentin, je vois chaque année tomber les haies et les arbres des chemins. De quel droit anachronique ?

En vérité il ne m’appartient pas, mais il est mien par le regard – qui prend sans posséder

Et combien de motifs ridicules et mesquins chez les bûcherons occasionnels ! L’ombre des arbres qui rendrait les chemins humides, leur emplacement qui empêcherait la circulation des monstres agricoles, quelques sous à gagner en débitant leur bois… J’espère ardemment cette loi qui dira enfin que, au-delà d’une certaine hauteur, un arbre, devenant bien commun, ne peut plus être abattu par son « propriétaire ». Car une certaine hauteur, c’est un certain âge : les arbres sont des torches de temps pur. Le temps n’est la propriété de personne.

Lorsque je me rends dans ma cotentine maison des champs, chaque matin, travaillant à mon bureau, à travers ma fenêtre je peux jouir de la vue de celui que j’appelle mon chêne. Il croît, solitaire, dans un grand champ de l’autre côté du chemin, à deux ou trois cents mètres. En vérité il ne m’appartient pas, mais il est mien par le regard – qui prend sans posséder.

En sursis

Dès que je m’assois, je lui jette un premier coup d’œil. Nu l’hiver, en promesse au printemps et feuillu d’abondance l’été, il est presque toujours intéressant. Je crois que je détaille chaque fois dans le même ordre : lui d’abord puis l’entour, selon ce qui s’y montre de spécial – la pluie ou les nuages, la lune le soir, les meules de foin l’été, les oiseaux –, enfin la haie du fond derrière laquelle s’élève un petit bois de peupliers.

Avant, destiné au pâturage, dès le printemps le champ accueillait des vaches et il recevait toute l’année la visite d’animaux sauvages : renards (très rarement visibles), lièvres, chevreuils élégants, et ces visions furtives me donnaient le sentiment d’une faveur. Pendant un temps, un rapace venait se poser sur une grande branche basse du chêne – je ne sais s’il l’habitait, ou si, comme d’autres vont au café, il y avait simplement ses habitudes de vieux garçon. Puis la branche est tombée, le rapace a trouvé repaire ailleurs et les oiseaux n’ont plus fait que passer.

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