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Jean-Pierre Marielle, mort d’un joueur

Bon vivant, acteur truculent qui a tourné dans de nombreuses comédies, il s’est éteint à 87 ans des suites d’une longue maladie.

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Publié le 24 avril 2019 à 22h22, modifié le 26 avril 2019 à 07h46

Temps de Lecture 26 min.

Le verbe traînant, l’air désabusé lui ont fourni une merveilleuse façade en trompe-l’œil dont il a peut-être usé avec un brin de malice. Pour tromper son monde et sans doute, aussi, pour avoir la paix, du moins avec les « cons » qu’il craignait comme la peste (« Ah oui, ça fout les jetons, les cons »). A l’inverse de cette allure de seigneur revenu de tout, Jean-Pierre Marielle, qui est mort mercredi 24 avril, a fait preuve, durant quatre-vingt-sept ans, d’un appétit d’ogre.

« Agathe Marielle a la tristesse d’annoncer que son mari, l’acteur Jean-Pierre Marielle, s’est éteint le 24 avril, à 16 h 24, à l’hôpital des Quatre-Villes, à Saint-Cloud, des suites d’une longue maladie. Les obsèques se dérouleront dans la plus stricte intimité », a annoncé son épouse dans un communiqué.

Epicurien, inattendu, excessif, il a su garder toute sa vie le goût du jeu et de l’enfance, ne faisant rien comme tout le monde, capable de prendre de la confiture avec de l’omelette et de jouer des tours de gosse à ses vieux copains. « Il fait toujours comme il a envie. Avec lui, dans la vraie vie, on s’amuse. On n’est jamais monsieur et madame », disait la comédienne Agathe Natanson, sa quatrième épouse, qu’il avait rencontrée en 1997 et avec laquelle il s’était marié en 2003 à Florence, en Italie.

Cette vie, commencée le 12 avril 1932 à Paris, l’avait conduit à devenir acteur sans qu’il puisse l’expliquer. Jean-Pierre Marielle ne croyait ni en la vocation ni au fait que jouer puisse s’apprendre. Il était devenu comédien par hasard, faire le pitre lui convenait. L’affaire s’arrêtait là. Difficile néanmoins de se satisfaire de ce revers de main auquel il avait recours dans chaque interview. Mieux vaut y voir l’illustration de l’ennui qu’il éprouvait à parler de lui et à théoriser sur son métier. Car « jouer », « faire l’acteur » l’a guidé dès l’adolescence, quand, au lycée de Dijon, il monte avec ses camarades des pièces de Tchekhov. C’est là qu’un professeur de littérature l’encourage à devenir comédien de théâtre.

« C’est comme les années à prunes »

Jean-Pierre Marielle n’a pas besoin de plus et part sur-le-champ pour Paris où il intègre le Conservatoire national d’art dramatique. Nous sommes au tout début des années 1950, et se retrouvera en ce saint des saints une sacrée bande de joyeux drilles, prêts à faire voler en éclats les carcans et les diktats.

Belmondo, Cremer, Marielle, Rich, Rochefort, Vernier, Beaune. Sept jeunes hommes venus d’horizons très différents qui s’unissent dans le vent frais de l’amitié. Le rire, les larmes, les déconvenues, les histoires d’amour les soudent pour une vie entière. « Il y a des années de groupe de comédiens, comme des années de peintres, de musiciens, c’est comme les années à prunes, comme le pinard. C’est comme ça », résumait Jean-Pierre Marielle, fidèle à sa ligne de conduite : ne pas chercher midi à quatorze heures.

Quelques rôles sur les planches et une poignée d’apparitions au cinéma le vouent d’abord aux seconds rôles, avant que des réalisateurs lui accordent leur confiance : Jean Girault (Faites sauter la banque, avec Louis de Funès, 1964), Henri Verneuil (Week-end à Zuydcoote, avec Jean-Paul Belmondo, 1964), Philippe de Broca (Le Diable par la queue, 1969).

Ces films mènent Jean-Pierre Marielle vers une notoriété qui se bâtit dans les années 1970, avec des comédies comme Sex-Shop, de Claude Berri, La Valise, de Georges Lautner, Comment réussir quand on est con et pleurnichard, de Michel Audiard, Calmos, de Bertrand Blier, Cause toujours… tu m’intéresses, d’Edouard Molinaro. Des personnages qu’il incarne avec ce même mélange d’humour, de candeur et de cynisme, et qui font de lui un des acteurs les plus truculents du cinéma gaulois.

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Jean-Pierre Marielle dans la scène d’introduction culte du film « Calmos », de Bertrand Blier :

Face à la critique, l’acteur n’est pas homme à se démonter, ni à se renier. Lui dont la jeunesse s’était nourrie de John Ford, Ingmar Bergman et Orson Welles assumait chacun de ses choix. « Ça ne me gêne pas de faire des navets, j’espère en faire encore quelques-uns », avait-il dit en janvier 2011 lors d’une rencontre à la Fnac pour la sortie de son livre Le grand n’importe quoi (Calmann Lévy, 2010). Le gênaient en revanche « les nuls qui se prennent pour des génies ». Ceux-là étaient bannis de son répertoire. Si Jean-Pierre Marielle se définissait comme « un cabotin », il ne l’était pas au point de se frotter aux prétentieux.

Jean-Pierre Marielle dans « Sex-Shop », de Claude Berri :

« Je suis décalé, pas calé »

Il ne les considérait pas comme tels, les cinéastes qui, au moment où il se lasse des personnages un peu extravagants, lui apportent des rôles dramatiques. Il les a même aimés, au même titre que les longs-métrages qu’ils ont réalisés, les Joël Séria (Les Galettes de Pont-Aven), Bertrand Tavernier (Que la fête commence en 1975 et Coup de torchon, en 1981), Claude Berri (Uranus), Laurent Heynemann (Les mois d’avril sont meurtriers, en 1987), Claude Sautet (Quelques jours avec moi, en 1988), Alain Corneau (Tous les matins du monde, en 1991)…

Mais il n’en faisait pas plus de cas que des autres, ne se vantait pas outre mesure d’en avoir été. Aux journalistes qui lui demandaient quel avait été son plus beau rôle, il bottait en touche. « Je ne sais pas, j’ai fait trop de choses différentes », soulignait-il, n’omettant pas dans « ces choses » les dizaines de films tournés pour la télévision.

Jean-Pierre Marielle dans « Les Galettes de Pont-Aven », de Joël Séria :

C’est surtout sur le théâtre et ses auteurs qu’il aimait s’attarder, se plaisant à exprimer le plaisir inouï qu’il éprouvait à se mettre à leur service. « Le théâtre est toujours une émotion très présente en moi. Entendre les trois coups, le rideau qui se lève et le murmure de la salle, puis on se lance. Comme les écrivains, le prix Goncourt, on attend toujours le rôle qui va faire de vous quelque chose que vous n’imaginez pas, même dans vos plus chers désirs. »

Jean-Pierre Marielle s’est plu à lire et dire les mots de Molière, Ionesco, Pinter, Pirandello, Anouilh, Tchekhov, Claudel… La quarantaine de pièces dans lesquelles il a joué sous la direction de grands metteurs en scène a su maintenir intacte sa joie de partager, avec le public, les œuvres et les écrivains qu’ils chérissaient.

Lecteur gourmand, fou de jazz, amoureux de l’art, Jean-Pierre Marielle disait cependant de lui-même qu’il n’était calé en rien : « Je suis décalé, pas calé. Il n’y a rien de mieux que d’être décalé. » De même que si Paris était sa ville, il n’en demeurait pas moins un paysan, un garçon dont l’enfance passée à Précy-le-Sec, dans l’Yonne, entre un père industriel et une mère couturière, avait laissé des traces qu’il prenait soin de cultiver et d’user comme un remède. Son penchant pour la contemplation, sa passion pour les plats du terroir – intarissable sur le petit salé aux lentilles, la potée, le haddock… – et les bons vins lui venaient de là. Ils ont été son meilleur rempart à la vaine agitation du monde.

Jean-Pierre Marielle en quelques dates

12 avril 1932 Naissance à Paris

1964 « Week-end à Zuydcoote »

1969 « Le Diable par la queue »

1970 « Les Poissons rouges », de Jean Anouilh

1974 « Que la fête commence »

1976 « Calmos »

1991 « Tous les matins du monde »

1997 « La Lune se couche »

2010 Publie « Le grand n’importe quoi »

2019 Mort à 87 ans à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine)

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