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Questions sur le possible retour de Google en Chine

Chercheur à l’ONG Amnesty International, Patrick Poon s’inquiète des conséquences du retour du leader incontesté des moteurs de recherche à Pékin.

Propos recueillis par 

Publié le 29 août 2018 à 16h48, modifié le 29 août 2018 à 18h34

Temps de Lecture 4 min.

Un garde de sécurité passe devant le logo de Google à Shanghai, en avril 2016.

Google est confronté depuis plusieurs semaines à de vives critiques, tant internes qu’externes, après la révélation par la presse américaine de l’existence d’un projet de moteur de recherche à destination de la Chine. Connu sous le nom de « DragonFly », ce projet signifierait un retour de Google dans le pays, que l’entreprise avait quitté en 2010 pour protester contre la censure.

Dans un entretien au « Monde », Patrick Poon, chercheur à Amnesty International spécialisé dans les questions liées à la Chine, exprime son inquiétude quant à cette potentielle décision.

Comment se manifeste la censure en Chine ?

Patrick Poon : Pour le moment, ce que l’on constate, c’est une censure qui porte sur tous les termes sensibles, comme par exemple « Tiananmen » ou « 4 juin » (date du massacre de la place Tiananmen, en 1989, à Pékin). La censure s’applique sur tous les moteurs de recherche locaux, mais aussi sur Weibo ou sur WeChat, les Twitter et WhatsApp chinois [les réseaux sociaux occidentaux sont quasi tous bloqués en Chine continentale]. Ceux qui cherchent de l’information provenant de l’extérieur de la Chine utilisent des réseaux privés virtuels (VPN, outils de contournement de la censure). Ce sont souvent les mêmes qui ont étudié, travaillé ou simplement voyagé à l’étranger et ont découvert les plates-formes censurées.

Ceux qui ne sortent pas du pays, en revanche, sont en général très limités sur l’information qu’ils peuvent obtenir. C’est un phénomène très intéressant à observer. Par ailleurs, l’utilisation d’un VPN est risquée, car les autorités chinoises ont fait passer des lois visant à rendre cet outil illégal. Mais il s’avère qu’en fait, certains officiels chinois utilisent eux-mêmes des VPN pour accéder à certaines informations.

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Qu’avait pensé Amnesty International du départ de Google en 2010 ?

A l’époque, ils avaient déclaré ne pas pouvoir accepter les conditions imposées par le gouvernement chinois, qui voulait un moteur de recherche censuré. Cette décision avait été largement saluée, notamment par Amnesty International. C’est pourquoi les rumeurs autour du projet « DragonFly » sont à nos yeux très problématiques. Si Google revient sur le marché en acceptant la censure, cela pose de nombreuses questions sur le plan des droits humains, de la vie privée des utilisateurs, de leur accès à l’information, de leur liberté d’expression…

Comment a évolué la censure depuis 2010 ?

J’observe la situation tous les jours, et je vois bien qu’elle se dégrade. En 2015, le gouvernement a fait passer plusieurs lois sur la sécurité nationale, ainsi que de nouvelles réglementations locales. Ils ont cette idée d’une souveraineté numérique, d’un genre d’intranet chinois qui remplacerait Internet, où ils choisissent ce qu’il faut et ne faut pas dire, lire, regarder, écouter. Il y a aussi des mesures qui demandent aux entreprises de faire des rapports sur les contenus qui pourraient menacer la sécurité nationale.

Qu’impliquerait un retour de Google sur le plan éthique ?

Ce come-back pose de nombreuses questions. Où en est Google avec ce projet ? Est-ce qu’ils ont décidé de ne plus respecter la liberté d’expression ? De bafouer les principes qu’ils ont instaurés pour leurs propres employés ? Le problème, c’est que même si beaucoup de monde se pose la question, Google ne répond pas. Ils ne veulent pas commenter parce qu’il s’agit d’une fuite et non d’une vraie annonce. On doit continuer à pousser pour obtenir une réponse.

Y a-t-il eu, ces derniers mois, des signes d’un rapprochement de Google de Pékin ?

Je pense que Google prépare ce projet avec les autorités chinoises depuis un certain temps maintenant. Il y a des indices. Ils n’ont jamais vraiment quitté complètement le pays puisqu’ils ont continué à y faire des affaires et y ont maintenu l’application Google Translate, par exemple. Le PDG de l’entreprise, Sundar Pichai, s’est rendu en Chine en 2017 [lors d’une conférence gouvernementale sur Internet]. Ils négocient sur les termes menant au retour du moteur de recherche. Les employés de l’entreprise ont vite senti que ce projet devenait de plus en plus problématique.

Un potentiel retour de Google ouvrirait-il la voie à d’autres entreprises du même type ?

Il sera intéressant de voir comment les grandes puissances d’Internet répondront au choix final de Google. Facebook est en pourparlers depuis très longtemps pour débarquer sur le marché chinois. Mais le même problème se pose : Mark Zuckerberg concédera-t-il des changements dans le fonctionnement de son réseau social pour plaire à la Chine ?

Google aurait-il vraiment une chance de s’imposer en Chine ?

C’est la grande inconnue. Il y a déjà Baidu, et bien d’autres outils aux fonctionnalités proches de celles de Google. Il faut donc se poser la question du pourquoi. Pourquoi Google pense-t-il être en mesure de récupérer une partie du marché malgré la concurrence ? Comment compte-t-il changer les habitudes des utilisateurs ?

Peut-être Google compte-t-il maintenir ses idéaux et imposer sa vision aux autorités chinoises ?

A court terme, c’est impossible. Le gouvernement actuel n’est pas prêt à laisser les citoyens chinois avoir accès à la liberté d’information et d’expression. Google est devant un énorme dilemme. On parle d’une entreprise ayant, par le passé, résisté à la censure, et qui, maintenant que la répression est plus forte que jamais, considère l’idée de revenir en mettant de l’eau dans son vin.

Si Google pénètre aujourd’hui le marché chinois, ils doivent accepter la censure, mais aussi les questions et requêtes du gouvernement sur n’importe quel sujet. Avec le temps et en restant strict sur ses idées fondatrices, peut-être que Google pourrait parvenir à convaincre les pays comme la Chine de s’ouvrir à l’international, aussi bien d’un point de vue économique qu’éthique. Mais s’ils s’installent en Chine en piétinant leurs propres principes, alors ils ne changeront pas le pays, mais risquent fortement d’en ressortir eux-mêmes changés.

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