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« Octobre rose » : le dépistage systématique du cancer du sein est-il nécessaire ?

L’opération de sensibilisation, qui débute lundi, est l’occasion d’examiner les avantages et les inconvénients des examens systématiques de santé.

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Publié le 01 octobre 2018 à 16h53, modifié le 02 octobre 2018 à 09h35

Temps de Lecture 6 min.

C’est par une illumination de la tour Eiffel, entre autres événements, que la 25e édition de la campagne d’information « Octobre rose » est lancée lundi 1er octobre, pour sensibiliser au cancer du sein. Si l’intérêt de parler d’une maladie qui peut toucher une femme sur huit au cours de sa vie n’est pas remis en cause, la question du dépistage systématique de ce cancer a été soulevée en 2016 à la suite d’un rapport critiquant le système actuel.

Que représente le cancer du sein en France ?

12 000 morts par an

Le cancer du sein est le plus répandu en France. Selon l’Institut du cancer (INCa), 59 000 nouveaux cas sont détectés chaque année, soit 31 % des cancers touchant les femmes. Il s’agit aussi du cancer féminin le plus meurtrier, avec près de 12 000 morts par an.

Dans 80 % des cas, les cancers du sein sont détectés chez des patientes de plus de 50 ans, et on estime qu’une femme sur huit y sera confrontée au cours de sa vie. Heureusement, c’est aussi l’un des cancers qui se guérissent le mieux, avec 87 % de taux de survie à cinq ans, selon l’Institut de veille sanitaire (InVS).

Comment était organisé le dépistage jusqu’à présent ?

En 2004, un dépistage systématique a été organisé pour toutes les femmes de 50 ans à 74 ans, qui ne présentent pas de risque particulier, sous forme d’une mammographie et d’un examen clinique pratiqués gratuitement tous les deux ans. Celles qui ont des antécédents ou un risque accru réalisent l’examen tous les ans.

Mais cette politique de santé publique a montré ses limites : en 2017, une femme sur deux (49,9 %) a répondu au courrier l’invitant à participer au dépistage organisé, ce qui est bien inférieur aux recommandations européennes, qui préconisent 70 % de participation. Cette proportion est en baisse depuis plusieurs années, avec d’importants écarts régionaux. Parallèlement, 10 % des femmes ont préféré un dépistage individualisé, qui aboutit davantage sur des échographies de contrôle.

Combien coûte ce dispositif ?

Difficile d’avoir une idée exacte. Le rapport du comité d’orientation cite deux estimations :

  • 180 millions d’euros en 2008, selon la Haute Autorité de santé : 79 euros par femme participante ; 11 300 euros par cancer déclaré ;et des structures fixes coûtant 35 millions d’euros.

  • 300 millions d’euros selon les calculs de l’UFC-Que choisir (soit 130 euros par an et par patiente), en incluant les primes de 245 euros par an accordées aux médecins traitants dont les patientes participent bien au dépistage. L’association de consommateurs précise que si la mammographie est gratuite, les examens qui suivent en cas de doute (échographie, biopsie) restent en partie à la charge de la patiente.

Qu’est-ce qui va changer ?

Le ministère de la santé a annoncé une « modernisation du dépistage » au début de 2018. L’objectif est d’individualiser le suivi en fonction des risques prédictibles, sachant que 5 % seulement des cancers sont héréditaires.

Une consultation de prévention sera proposée pour les femmes de 25 ans, qui sera prise en charge à 100 % par l’Assurance-maladie, afin d’évoquer et d’évaluer les facteurs de risque (tabac, alcool, alimentation, etc.).

A partir de 50 ans, une seconde consultation de dépistage est organisée avec un suivi personnalisé en fonction des facteurs de risques. Les échographies prescrites en complément des mammographies seront désormais remboursées intégralement, comme le souhaitaient les associations de consommateurs.

Quels sont les résultats du dépistage ?

Le dépistage est-il efficace ? Toute la difficulté réside dans cette évaluation. Selon l’agence Santé publique France, le dépistage organisé a permis de détecter 37 000 cas entre 2013 et 2014, la plupart du temps à un stade précoce : dans 77 % des cas, les ganglions n’étaient pas atteints, et dans 37 % la tumeur mesurait moins de 1 centimètre.

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Au total, il est extrêmement complexe de savoir combien de morts sont évitées grâce au dépistage. Depuis les années 1960, plusieurs essais cliniques conduits dans le monde ont conclu à une baisse de 15 % à 25 % de la mortalité. Mais des études plus récentes, par exemple celle publiée par le British Medical Journal sur 90 000 femmes au Canada, ne démontre pas de différence significative sans ou avec des mammographies régulières. Aucune étude d’une telle ampleur n’a pu être réalisée en France.

L’INCa avance le chiffre de 150 à 300 décès évités pour 100 000 femmes dépistées sur sept à dix ans, soit une réduction de mortalité de 15 % à 21 %. Mais ces chiffres aussi sont controversés, et ne tiennent pas compte d’un autre facteur : le risque de surdiagnostic.

Que reproche-t-on au dépistage ?

A priori, on pourrait penser que le dépistage ne peut pas faire de mal — même si la mammographie est assez désagréable — et que plus un cancer est détecté tôt, plus il est facile de le guérir sans traitement lourd. Mais ces remarques de bon sens sont mises à mal par plusieurs risques :

  • Le surdiagnostic : il s’agit de lésions cancéreuses détectées alors qu’elles n’auraient pas forcément évolué en cancer menaçant la vie de la personne. Ce n’est pas parce qu’un cancer est petit qu’il est récent, ou parce qu’il est volumineux qu’il va évoluer rapidement. Plusieurs études aboutissent à des chiffres de l’ordre de 10 % à 20 % de surdiagnostic.

  • Le surtraitement : chimiothérapie, rayons, voire ablation du sein sont donc parfois réalisés inutilement ; ce qui dégrade considérablement la vie des patientes (angoisse, problèmes professionnels et personnels, etc.).

  • Les cancers d’intervalle : inversement, une femme peut se sentir protégée après un examen normal et pourtant développer une tumeur très rapidement dès les mois suivants. Le dépistage n’est en aucun cas une assurance de ne pas déclarer un cancer futur.

  • Les cancers radio-induits : les mammographies exposent à des doses très faibles de rayons, qui peuvent dans certains cas augmenter la probabilité de futur cancer. Mais c’est surtout vrai pour les femmes jeunes ou présentant déjà des mutations ou des facteurs de risque. En théorie, ce n’est pas la population cible du dépistage organisé.

  • Les conséquences psychologiques, en particulier l’anxiété des femmes dont la mammographie est « douteuse » et qui doivent attendre le résultat de nombreux examens complémentaires (échographie, biopsie, etc.) avant d’écarter un risque de cancer.

    Lire aussi : Cancer du sein : fait-on trop de mammographies ?

Pourquoi la campagne « Octobre rose » est-elle décriée ?

La controverse scientifique sur le « bénéfice-risque du dépistage », évoquée par l’Institut national du cancer, n’est pas abordée lors des nombreuses manifestations d’« Octobre rose », une opération de communication sur le cancer du sein organisée chaque année au mois d’octobre, avec le soutien de la Ligue contre le cancer.

Cette campagne, venue des Etats-Unis, a été lancée en France en 1994 par le groupe cosmétique Estée Lauder et le magazine Marie Claire pour promouvoir le dépistage. Elle bénéficie du soutien médiatique et financier de nombreuses marques commerciales, parfois taxées de « pinkwashing » — c’est-à-dire de s’associer à une cause pour améliorer leur image.

Un collectif de médecins indépendants s’est organisé en 2015, sous le nom de Cancer rose, pour dénoncer, à l’aide de brochures et de vidéos, « les messages officiels extrêmement incitatifs » et les campagnes commerciales qui vantent un dépistage « ne reposant pourtant sur aucune donnée fiable et pertinente », fondés sur des injonctions culpabilisatrices plutôt que sur l’information objective des femmes.

Faut-il arrêter dépistage et mammographie ?

Même les médecins les plus critiques ne jettent pas aux orties le dépistage en tant que tel, mais son aspect systématique et imposé à toutes les femmes qui ne présentent aucun risque particulier. Ils demandent que les avantages et les inconvénients soient expliqués aux patientes pour qu’elles puissent choisir en connaissance de cause de pratiquer ou non cet examen.

Le suivi uniquement individuel n’est pas toujours plus facile à mettre en place, et peut engendrer des inégalités sociales face à la prévention, comme le note dans Le Monde Suzette Delaloge, oncologue à l’institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne).

Par ailleurs, le dépistage du cancer du sein ne passe pas obligatoirement par la mammographie. Une première étape consiste à effectuer des palpations régulières des seins. C’est d’ailleurs ce qui est recommandé pour les femmes de moins de 50 ans, afin d’éviter les effets néfastes des excès de radiations. Dans tous les cas, la mammographie est considérée comme nécessaire par les médecins en tant qu’outil de diagnostic, c’est-à-dire de vérification d’un risque décelé auparavant.

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