C’est une terre d’accueil et Ulysse, dit-on, y aurait trouvé refuge. A la Renaissance, le moine philosophe Tommaso Campanella s’y serait aussi caché, peu de temps avant de concevoir son grand projet de république, La Cité du soleil. Mercredi 22 août, Riace a reçu la visite d’un autre écrivain, Roberto Saviano, venu soutenir son inventive politique migratoire. Depuis 1998, les ruelles de ce bourg de Calabre qui risquait l’extinction se repeuplent au rythme des débarquements de réfugiés. En 2016, le magazine Forbes a même hissé le maire et héros de l’histoire, Domenico Lucano, parmi les 50 personnalités les plus influentes du monde.
D’où vient, alors, que Riace semble aujourd’hui si désert ? Seuls deux policiers mutiques patrouillent sous la chaleur torride. On n’entend pas même braire l’âne Bravo, compagnon des réfugiés chargés du ramassage des ordures. Quant aux ateliers de céramique, verrerie et couture où Italiens et étrangers font revivre les métiers d’antan, ils sont fermés. Et pourraient ne pas rouvrir de sitôt : l’expérience Riace, oasis rafraîchissante dans une Italie qui ferme ses ports, risque de ne pas survivre à cet été très particulier.
« Pôle de positivité »
« Riace est victime d’une terrible injustice ! On veut nous couper les financements, mettre à la rue 165 réfugiés, dont 50 enfants, et 80 travailleurs sociaux », s’emporte Domenico Lucano, avant de se laisser tomber sur sa chaise. Si les ruelles sont silencieuses, la place centrale du village gronde. En ce 9 août, une centaine de personnes s’y sont retrouvées : locaux, militants de tous âges et toutes obédiences – soixante-huitards milanais, altermondialistes bolognais, prêtres new age –, migrants venus des quatre coins du monde – Afghanistan, Somalie, Nigeria…
Coupe à la Paul Pogba et sourire désarmant, un jeune mannequin s’est joint à la cohorte. Son corps sculptural ferait pâlir jusqu’aux fameux bronzes découverts, en 1972, sur les rives de Riace. De père rwandais et de mère martiniquaise, élevé en partie à Rome, Corneille a vu « sur Instagram que Riace était en lutte » et a tenu à observer « ce pôle de positivité ».
A son image, tous sont venus encourager le maire, en grève de la faim, et le bourg, au bord du gouffre. Pour financer les projets destinés à l’accueil et à l’intégration, le village de 2 000 habitants compte sur les aides économiques du Centre d’accueil extraordinaire (CAS) et du Système de protection pour demandeurs d’asile et réfugiés (Sprar). Mais depuis deux ans, « la préfecture de Reggio de Calabre refuse d’octroyer au village les fonds CAS, sans aucune justification, alors qu’elle nous doit près d’un million d’euros », s’insurge Domenico Lucano. Début août, le maire apprend que le ministère de l’intérieur – coiffé par le chef de file de l’extrême droite, Matteo Salvini – exclut la commune des fonds Sprar 2018, en raison d’« irrégularités » – soit un trou de près de 2 millions d’euros, selon l’élu.
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