En juillet 2000, à Camp David, villégiature des présidents américains où Bill Clinton a convié Yasser Arafat et Ehoud Barak, les négociations de paix tournent mal. Le dirigeant palestinien est furieux. En pleine nuit, il veut parler au chef de la Maison Blanche. Un des collaborateurs d'Arafat, Saeb Erekat, tente de l'en dissuader mais se résigne à prévenir Madeleine Albright, chef de la diplomatie américaine. Cinq ans après, M. Erekat se souvient encore de sa gêne en allant "dans la chambre d'une dame à 3 heures du matin." Mme Albright se rappelle s'être habillée en protestant mais en se disant finalement : "Je suis payée pour ça."
A ce moment du documentaire conçu par Brian Lapping et Norma Percy pour la BBC, ces souvenirs peuvent paraître purement anecdotiques, voire superflus, mais ils viennent souligner la tension dramatique que les images officielles tournées à l'époque ne montrent pas. Aussitôt après, on n'est plus du tout dans l'anecdote. On touche à l'essentiel. Les différents protagonistes des discussions d'alors, à commencer par Bill Clinton et Ehoud Barak, décrivent et expliquent la colère du président américain devant l'impasse - "Il était tout rouge", dit M. Barak. Les témoignages sont découpés point par point, en brèves séquences. Le montage est très serré et rythmé. Aux propos d'un des membres des trois délégations en présence, répond immédiatement la version d'un représentant des deux autres parties. Le recoupement est permanent.
Ainsi a-t-on le sentiment d'être au coeur de l'événement, de le comprendre (sous réserve des objections énoncées page 2) et de le "vivre" intensément. Tel est le savoir-faire de Brian Lapping. De surcroît, le documentariste britannique a l'art de dénicher des trésors ignorés. Comme cette scène filmée en marge d'un sommet israélo-palestinien, en 2003, en Jordanie. Les choses vont fort mal. Les pires ennemis, Mohamed Dahlan, ministre palestinien de l'intérieur, et Shaul Mofaz, ministre israélien de la défense, s'isolent soudain pour un aparté, en hébreu... M. Dahlan parle couramment cette langue depuis un long séjour dans une prison israélienne. Les deux hommes vont, là, s'entendre pour jeter les bases d'une trêve dans l'Intifada. Images et propos incroyables que l'on croit voler. En tout cas, le téléspectateur a l'impression d'être un témoin privilégié.
Pareilles trouvailles et, surtout, la technique du récit à plusieurs voix, celles des personnalités les plus impliquées, portent la marque singulière de Brian Lapping et du travail d'équipe qu'il poursuit depuis des lustres, avec Norma Percy notamment. "Ce que nous avons toujours fait, dans toutes nos séries, déclare cette fidèle collaboratrice, c'est de savoir comment les grandes décisions ont été prises. Interroger tous les acteurs des événements nous permet d'atteindre ensuite une forme d'objectivité. Les faits sont là et nous nous contentons d'apporter différents éclairages." La "méthode Lapping" a été révélée au grand jour en 1995 avec la diffusion de la série "Yougoslavie, suicide d'une nation européenne", qui a été louée et primée partout dans le monde. Depuis, il y a eu "Histoires d'otages, Beyrouth 1984-1991", "Irlande : fin de partie", "La chute de Milosevic" et, plus récemment, "A bord d'un avion-missile du 11 Septembre". Au fil des années Brian Lapping a fait des émules - certains de ses équipiers, comme Paul Mitchell, ont pris leur indépendance -, et sa méthode rigoureuse a été de plus en plus imitée, tant et si bien qu'aujourd'hui elle semble moins originale. La rançon du succès.
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