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Sur un ancien no man’s land, à l’ombre du vieux stade désaffecté de la capitale américaine, un immense tunnelier fait la fierté de DC Water, l’organisme de gestion de l’eau de la région de Washington. Des grues géantes s’apprêtent à installer l’imposante machine cylindrique sur sa rampe de lancement. Les ouvriers mettent la dernière main à la fosse qui permettra de glisser l’engin de 7 mètres de diamètre à 100 mètres de profondeur.
A quelques dizaines de mètres du bruit et de la poussière de ce chantier débuté il y a cinq ans, les eaux calmes de la rivière Anacostia s’écoulent entre verdure et ouvrages urbains. A cette distance, rien n’indique l’urgence et la nécessité de mettre rapidement en action le tunnelier. Ce chantier est pourtant la partie la plus spectaculaire d’un projet titanesque enclenché par les autorités de la ville en 2005 pour venir à bout de la pollution chronique de cette courte rivière qui serpente sur 13,5 kilomètres, frontière implicite entre les voies rapides menant au centre-ville cossu de la capitale et ses quartiers plus pauvres, majoritairement noirs.
Autrefois voie maritime fréquentée, jalonnée de petites villes portuaires, l’Anacostia est devenue au fil des décennies « la rivière oubliée », déversoir des eaux usées de la ville, dépotoir des industries alentour et des habitants indélicats. Son nom actuel dérivé d’anaquash – « commerce au cœur d’un village » –, ainsi que l’appelaient les Amérindiens qui vivaient sur ses rives depuis plusieurs milliers d’années, rappelle pourtant qu’elle fut une artère vitale pour l’économie locale. Les premiers colons plantèrent du tabac et utilisèrent la rivière comme moyen de transport mais, dès le XIXe siècle, un limon toxique l’envahit et les marchands s’en détournèrent, abandonnant ses eaux aux dégâts de l’urbanisation galopante de cette région devenue capitale.
Forêt de bambous
Car la rivière a beau avoisiner l’une des villes les plus riches des Etats-Unis, elle sillonne surtout ses parties les plus défavorisées. Cette donnée sociologique n’est pas étrangère à son extrême pollution, par ailleurs commune à beaucoup de cours d’eau à travers le pays. « Les populations qui vivent le long de la rivière ne connaissaient pas les bonnes personnes et n’avaient pas les moyens de faire pression pour exiger son nettoyage », explique Masaya Maeda, un scientifique de l’association Anacostia Watershed Society (AWS), qui œuvre depuis 1989 à la dépollution du cours d’eau.
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