France 2, mardi 20 novembre à 23 h 10, documentaire
Corinne Bouchoux, ancienne sénatrice du Maine-et-Loire, sous la bannière Europe Ecologie-Les Verts, le dit sans détour : la lutte contre la pédophilie en France est un sujet politique impopulaire. Elle qui, à l’âge de 8 ans, est tombée sous les griffes d’un prêtre « aux mains baladeuses », a demandé à maintes reprises, entre 2011 et 2017, qu’une commission d’enquête soit mise sur pied pour faire le point sur les agressions sexuelles dans l’Eglise, le système éducatif et les colonies de vacances. « Je n’ai pas réussi à lancer une dynamique politique, regrette-elle. Il y avait toujours plus grave et plus urgent. »
Après Pédophilie, un silence de cathédrale, de Richard Puech, diffusé sur France 3 en mars, un autre documentaire − Enfance abusée, d’Eric Guéret − s’évertue à briser l’omerta qui entoure ces drames dont 3,5 millions de Français ont été victimes dans leur enfance. Le réalisateur donne ici la parole à sept victimes, dont Corinne Bouchoux, et à trois parents de victimes. Face à la caméra, elles ont accepté, en leur nom, de raconter.
Leurs témoignages, véritables cris d’alarme, sont glaçants et bouleversants. Puissants aussi. Parce que les victimes trouvent les mots pour dire avec pudeur les souffrances du viol subi. Des mots qui reviennent pour décrire l’univers mental dans lesquelles les victimes se sont retrouvées plongées sur le moment, puis après.
La sidération, tout d’abord. Celle qu’a ressentie Andréa Bescond (coauteure du film Les Chatouilles, adaptation de son histoire à l’écran) lorsqu’un ami de sa famille l’a violée « silencieusement » avec ses mains. Le sentiment d’humiliation, ensuite. Celui de Laurent Boyet − auteur de Tous les frères font comme ça… (Hugo doc, 2017) −, qui avoue s’être senti « tellement sale » après avoir été sodomisé par son frère qu’il n’a plus invité d’ami à la maison.
La peur de ne pas être cru
Puis, il y a le silence dans lequel se terrent les victimes, longtemps incapables de parler de ce qu’elles ont subi. C’est ainsi que Kévin Massé dit s’être fabriquée « une bulle » de silence pendant les dix années où son entraîneur de foot l’a violé. Laurent Boyet raconte, pour sa part, avoir mis le doigt dans « un engrenage » parce qu’il n’était « pas assez fort ». « La honte conduit à la culpabilité qui, elle, conduit au silence », précise-t-il. Manipulés pour satisfaire les plaisirs des adultes, certains, sous emprise, se sont tus par peur, par culpabilité, parce qu’ils craignaient de ne pas être crus. D’autres, comme Andréa Bescond, ont joué le jeu de la complicité avec le violeur, préservant « leur » secret « pour ne pas décevoir ».
Laurent Boyet, auteur : « La honte conduit à la culpabilité qui, elle, conduit au silence »
De nombreuses victimes révèlent ici qu’un de leurs parents savait ou s’en doutait. Victime des abus sexuels de sa tante, David Guillemois, raconte que sa mère a laissé faire, privilégiant la relation avec sa sœur à la protection de son fils. Le film pointe aussi la complaisance et le laxisme des institutions. Sébastien Lopez souligne que le directeur d’école qui a agressé sa fille, âgée de 6 ans, pendant des ateliers du goût, avait déjà été condamné pour détention d’images à caractère pédopornographique.
« On se dit : tout aurait pu être évité. (…) Que ce soient les gendarmes qui l’ont auditionné, son avocat, le procureur, le juge, il y n’en a aucun parmi ces personnages qui s’est dit : il faut le signaler, il faut l’empêcher de travailler avec des enfants. Aucun », s’indigne-t-il.
Plus qu’un récit de violences insupportables, ce documentaire est aussi un message d’espoir. Il montre que la reconstruction personnelle est possible et que la prise de parole, le travail de mémoire et le recours à la justice sont impératifs.
Enfance abusée, d’Eric Guéret (France, 2018, 70 min). www.francetvpro.fr/france-2
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