Voilà cinquante ans que Michael Heizer s’acharne à construire la plus grande sculpture au monde : 2 000 mètres de long, 500 de large. Un demi-siècle que ce géant de l’art américain oscille entre New York et le désert du sud du Nevada, pour donner naissance à l’un des projets les plus fous qu’ait jamais portés un artiste : City, rivale contemporaine de la cité aztèque de Chichen Itza et des pyramides d’Egypte. Découvertes aux côtés de son père anthropologue et archéologue, ces civilisations inspirent Heizer pour sa stupéfiante mise en scène d’allées, de stèles, de courbes, pentes et tumuli, taillés dans le béton et la terre dont il exploite les mille textures et nuances. Longtemps tenue dans le plus grand secret, City ouvrira au public en mai 2020. A bientôt 74 ans, à l’occasion de son exposition à la galerie Gagosian du Bourget (Seine-Saint-Denis), qui coïncide avec la semaine de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), ce Sisyphe moderne nous dévoile sa ville de fin du monde.
Il y a un demi-siècle, vous donniez les premiers coups de pioche d’un projet pharaonique, « City ». Aviez-vous idée qu’il prendrait toute votre vie ?
Cela fait cinquante ans ? Je ne compte pas en années. J’avais des idées, je les ai développées, je continue. Mais je n’ai jamais fait ni plan ni maquette, tout est venu comme un flux de conscience. C’est la seule façon de faire.
Je n’ai jamais fait ni plan ni maquette, tout est venu comme un flux de conscience
Il y a cinq ans, je n’avais encore aucune idée de ce à quoi ressemblait City. Et puis est arrivé Google Earth. Aujourd’hui, on est aidés par des machines guidées par ordinateur et satellites, précises comme des lasers. Tout est cartographié. Cela nous permet de détecter la moindre pierre déplacée, une trace de souris, une mauvaise herbe. Grâce au progrès informatique, on a pu réaliser une courbe extraordinaire, comme jamais aucun homme n’en a réalisé. Si jamais une tempête détruit une des structures, on peut désormais la recréer à l’identique. Et cela va arriver de plus en plus souvent, avec le réchauffement climatique : les orages de plus en plus violents font des dommages considérables.
Pourquoi un tel engagement dans une seule et même œuvre ?
Le travail que je fais doit être fait, c’est une œuvre pour le futur. Alors on fait, on refait, on change des trucs tous les jours. Absolument rien n’est laissé au hasard. On bouge des pierres, on filtre la poussière, le gravier, on travaille très finement la texture des sols, les différents gris. Béton, terre, rien d’autre.
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