Journaliste travaillant pour Geo, National Geographic ou Le Monde diplomatique, lauréat 2017 du prix Erik-Izraelewicz pour une enquête sur la filière bois, Guillaume Pitron publie un livre édifiant sur ce qu’il appelle « la face cachée » de la transition énergétique et numérique. « Du thé à l’or noir, de la muscade à la tulipe, du salpêtre au charbon, les matières premières ont toujours accompagné les grandes explorations, les empires et les guerres. Elles ont souvent contrarié le cours de l’histoire. Les métaux rares sont en train de changer le monde à leur tour », explique-t-il. Une enquête aux sources des prochains conflits économiques et géopolitiques.
Bonnes feuilles. Depuis le début du XXIe siècle, les hommes, inquiets des bouleversements climatiques générés par les énergies fossiles, ont mis au point de nouvelles inventions, réputées plus efficientes, plus propres, et reliées à des réseaux à haute tension ultra-performants : les éoliennes, les panneaux solaires, les batteries électriques. Après la machine à vapeur, après le moteur thermique, ces technologies dites « vertes » engagent l’humanité dans une troisième révolution énergétique, industrielle, qui est en train de transformer notre monde. Comme les deux précédentes, celle-ci s’appuie sur une ressource primordiale. Une matière tellement vitale que les énergéticiens, les technoprophètes, les chefs d’Etat et même les stratèges militaires la surnomment déjà « the next oil », le pétrole du XXIe siècle.
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Longtemps, les hommes ont exploité les principaux métaux connus de tous : le fer, l’or, l’argent, le cuivre, le plomb, l’aluminium… Mais, dès les années 1970, ils ont commencé à tirer parti des fabuleuses propriétés magnétiques et chimiques d’une multitude de petits métaux rares contenus dans les roches terrestres dans des proportions bien moindres. Cette grande fratrie unit des cousins affublés de noms aux consonances énigmatiques : terres rares, graphite, vanadium, germanium, platinoïdes, tungstène, antimoine, béryllium, fluorine, rhénium, prométhium… Ces métaux rares forment un sous-ensemble cohérent d’une trentaine de matières premières dont le point commun est d’être souvent associées, dans la nature, aux métaux les plus abondants. Comme tout ce qui s’extrait de la nature à doses infimes, les métaux rares sont des concentrés parés de fantastiques propriétés. Distiller une huile essentielle de fleur d’oranger est un processus long et fastidieux, mais le parfum et les pouvoirs thérapeutiques d’une seule goutte de cet élixir étonnent encore les chercheurs. Produire de la cocaïne au fin fond de la jungle colombienne n’est pas tâche plus aisée, mais les effets psychotropes d’un gramme de cette poudre vous dérèglent totalement un système nerveux central.
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