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Tim Sweeney
Official GDC - CC BY 2.0 (photo recadrée)

D’« Unreal » à « Fortnite », l’itinéraire mouvementé de Tim Sweeney, première fortune du jeu vidéo

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Publié le 14 janvier 2019 à 20h35, modifié le 15 janvier 2019 à 12h25

Temps de Lecture 1084 min.

Il est le fondateur du studio de développement de jeux vidéo derrière Fortnite Battle Royale, le phénomène de l’année 2018 : l’Américain Timothy « Tim » Sweeney, 48 ans, PDG et fondateur de la société Epic Games, a fait, le 7 janvier, une entrée fracassante dans le classement des cinq cents plus grandes fortunes du monde.

D’après l’estimation de Bloomberg, il serait désormais à la tête de la 197e fortune mondiale, avec 7,18 milliards de dollars, soit 6,25 milliards d’euros. C’est la vente d’une fraction de ses parts à des fonds d’investissement l’été 2018 qui aurait propulsé le patron d’Epic Games au rang de première fortune de l’industrie du jeu vidéo. Il dépasse ainsi largement l’Américain Gabe Newell (4,48 milliards de dollars) et le Coréen Kim Jungju (5,08 milliards de dollars), respectivement fondateurs de Valve et de Nexon.

Un milliardaire qui est aussi un écologiste convaincu : on apprenait la même semaine qu’il avait acheté sept mille acres (2 833 ha) de terrain pour 15 millions de dollars… avant d’en transférer la gestion à l’organisme américain en charge de la gestion et la préservation de la faune.

Démonter des tondeuses

Né en 1970 dans le Maryland, le jeune Tim Sweeney est plus doué pour démonter la tondeuse à gazon familiale que pour jouer du saxophone, qu’il pratique pourtant dans le groupe de jazz du lycée. Dans un entretien au site spécialisé Kotaku, il se décrit en 2011 comme une caricature de geek, gamin malin mais solitaire et empoté.

S’il traîne dans les salles d’arcade, où il découvre Space Invaders, le jeu vidéo ne l’intéresse pas plus que ça. Sa première console, un Atari 2600, prend rapidement la poussière, et c’est seulement sur l’Apple II de son père qu’il se découvre une passion pour la programmation informatique. Il commence alors à développer ses propres programmes et jeux (une cinquantaine), en copiant et améliorant ce qui existe.

Persuadé qu’il ne pourrait se satisfaire d’une vie d’employé, le jeune Tim commence par tondre la pelouse de ses voisins dans la petite ville de Potomac, lance une boîte de conseil informatique (sans jamais trouver un seul client) et envisage de créer des protocoles graphiques pour BBS, les ancêtres des forums avant Internet.

« J’ai été obsédé par ce problème, et je suis complètement passé à côté de ce qui était pourtant le vrai défi », confesse-t-il en 2009 au site spécialisé Gamasutra. Tout à sa tâche de vouloir moderniser cette technologie déjà déclinante, il ne voit pas venir la prochaine révolution : le Web. « Je me suis senti vraiment idiot. Depuis, quand je rencontre un problème technique, j’essaye de prendre du recul, plutôt que de simplement chercher à le résoudre. »

Jeu phénoménal, « Fortnite Battle Royale » revendiquait, en novembre 2018, 200 millions de joueurs.

Développeur mais pas joueur

Sa carrière prend de toute façon un tournant le jour où il montre ZZT aux gamins du quartier. Ils adorent ce jeu bizarre sans graphisme dans lequel le personnage, les ennemis et même les décors sont représentés par des caractères d’imprimerie.

Un jeu expérimental né d’une nécessité, celle de programmer un traitement de texte pour son tout nouveau PC. « J’ai commencé à m’ennuyer, alors j’ai modifié le curseur pour en faire un visage souriant, et j’ai fait en sorte qu’on puisse taper des caractères qui bloquent le joueur, ou se comportent de telle ou telle façon. On pouvait se servir de l’éditeur de texte pour dessiner simplement un niveau et ensuite s’y déplacer, y jouer comme à un jeu. » En neuf mois, le traitement de texte est devenu non seulement un jeu à part entière, mais aussi un outil permettant aux joueurs de créer leurs propres aventures.

Tim Sweeney a 21 ans quand il publie ce premier jeu commercial. Un relatif succès (il en vendra cinq mille par correspondance, dont la dernière sera envoyée, depuis le foyer familial, par son père en 2013) qui le convainc de s’atteler à un nouveau titre, le jeu de plate-forme Jill of the Jungle. Moins culte rétrospectivement, mais bien plus beau, ce deuxième essai est un deuxième succès : Epic MegaGames est définitivement sur les rails.

Le traumatisme « Wolfenstein 3D »

Un épisode a pourtant bien failli faire dérailler le train. En 1992, Tim Sweeney découvre Wolfenstein 3D. le nouveau jeu de tir d’id Software. Une révolution comme la décennie n’en connaîtra que deux ou trois, qui fait entrer le jeu vidéo dans l’ère de la 3D.

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L’expérience a quelque chose de démoralisant : cette révolution de la 3D, il ne l’a pas vu venir non plus. Il se sent incapable de rivaliser avec id Software. Du jour au lendemain, il décide d’abandonner sa casquette de développeur et embrasse pleinement son rôle de businessman et manager. « Sur le coup, ce n’était sans doute pas la meilleure idée, mais, au final, si je n’avais pas fait ça, je serais sans doute encore aujourd’hui un loup solitaire », explique-t-il aujourd’hui à Gamasutra.

Il met alors le pied à l’étrier à de jeunes talents débusqués sur le Net. Il y aura James Schmalz et son studio Digital Extremes, responsable à l’époque des succès de Solar Winds et Epic Pinball (et aujourd’hui de celui de Warframe), et surtout un gamin de 17 ans au look de skateur, Cliff Bleszinski (le jeu de plate-forme Jazz Jackrabbit).

De retour aux affaires

C’est un prototype de jeu 3D de James Schmalz qui, finalement, lui remet le pied à l’étrier. Ce qu’il voit convainc Tim Sweeney qu’Epic MegaGames est peut-être, en fin de compte, capable de rivaliser avec Wolfenstein 3D et Doom, l’un de ses jeux préférés (le premier et un des seuls qu’il ait fait en entier de sa vie).

La réponse d’Epic MegaGames à id Software s’appellera Unreal, mais comme ZZT en son temps, ce ne sera pas simplement un jeu : pour Unreal, Tim Sweeney et ses équipes développent un outil, l’Unreal Engine.

Derrière l’Unreal Engine, il y a le souvenir des révolutions du Web et de la 3D qu’il n’a pas vu venir, et la volonté de Tim Sweeney, cette fois, de prendre l’initiative. L’Unreal Engine, c’est donc un moteur dont peuvent se servir aussi bien les concepteurs des niveaux que les artistes qui ne savent pas programmer. Une sorte de boîte à outils aussi simple et efficace que possible, à une époque où la norme est plutôt l’usine à gaz.

Unreal et son Unreal Engine engloutissent toute la trésorerie d’Epic MegaGames, qui devient à cette époque Epic Games. La petite boîte d’alors vingt-cinq personnes se met à grossir et emménage (enfin) dans de vrais locaux, en Caroline du Nord.

Le jeu en vaut la chandelle : si Unreal, pourtant très bien accueilli à l’époque, est aujourd’hui un peu oublié, l’Unreal Engine devient un phénomène et une solution précieuse pour de nombreux studios, y compris parmi les plus gros. Y compris parmi les concurrents.

L’âge d’or

Les années 2000 seront fastes pour Epic Games, qui, malgré les réticences initiales de Tim Sweeney, fini par se pencher sur le marché des consoles et y rencontre un succès considérable avec la trilogie Gears of War, de Cliff Bleszinski. Magnifiques, les jeux servent de vitrine au Unreal Engine, comme, sur smartphones et tablettes, la série des Infinity Blade.

En 2012, au sommet de sa popularité, les fondateurs du studio cèdent 40 % de leurs parts au géant chinois Tencent, pour 330 millions de dollars. Un sommet mais aussi, pour Epic Games, le début d’un périlleux trou d’air.

Tim Sweeney, grand amateur de randonnées, logeant pendant des années dans un appartement sans chichi, peut laisser libre court à sa grande passion : la mécanique – en l’occurrence automobile – en achetant plusieurs voitures de luxe. Mais s’il est le patron d’Epic Games et le cerveau derrière l’Unreal Engine, le génie créatif est Cliff Bleszinski. Et à 37 ans seulement, celui-ci décide de prendre sa retraite. La série Gears of War, son bébé, est vendue à Microsoft en 2014, et Epic Games peine alors à se réinventer. Le projet de jeu de tactique en équipe Paragon ne décolle pas, tandis que Fortnite, conçu au départ comme une version guerrière et « adulte » de Minecraft, ne déclenche guère les passions.

L’après « Gears of War »

Il faudra attendre 2017 pour que Fortnite se dote d’un mode de jeu alternatif, très fortement inspiré par le succès du jeu PlayerUnknown’s Battleground. Epic Games n’invente rien, mais perfectionne le principe de ce jeu dans lequel cent joueurs s’affrontent dans une gigantesque arène en plein air, qui se réduit progressivement. Tim Sweeney reconnaît lui-même n’avoir aucun scrupule à prendre des idées ailleurs afin d’améliorer les siennes. « La différence entre l’invention et le vol, c’est la façon dont on combine ses idées », expliquait-il à Gamasutra.

Le succès de Fortnite Battle Royale (c’est le nom de ce mode de jeu gratuit) est sans précédent et propulse Tim Sweeney dans le cercle des hommes les plus riches du monde.

Comme un affront fait à Gabe Newell, propriétaire de la boutique en ligne Steam et jusqu’ici principale fortune du jeu vidéo occidental, Epic Games a d’ailleurs lancé en décembre 2018 son propre « store », bien décidé à égratigner un quasi-monopole vieux de quinze ans. Son argument : ne prélever que 12 % du prix des jeux vendus dans sa boutique, au lieu des 30 % que s’octroie l’entreprise de Gabe Newell.

 

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