Une œuvre inachevée. Rapportée à Emmanuel Hocquard, cette affirmation, elle-même incomplète, n’est nullement l’expression d’un regret. En témoignent les 600 pages de son dernier livre, publié au printemps 2018, Le Cours de Pise (P.O.L) : non pas un testament mais le perpétuel chantier de cet inachèvement. Il s’agit de notes et documents divers liés au travail accompli avec des étudiants de l’Ecole des beaux-arts de Bordeaux de 1993 à 2005. Emmanuel Hocquard est mort le dimanche 27 janvier à Mérilheu (Hautes-Pyrénées). Il avait 78 ans.
Pendant la décennie précédente, il avait déjà animé de mémorables lectures publiques au Musée d’art moderne de la ville de Paris. Pise, ce n’est pas seulement une tour célèbre et qui penche, mais l’acronyme de « Procédure, images, son, écriture », l’intitulé du cours bordelais. Dans sa préface, David Lespiau, qui a rassemblé et classé les notes de Hocquard, parle d’une « espèce d’éthique du cancre revendiquée. Le cancre comme résistant malgré lui au bulldozer des apprentissages dénués de sens, aux intégrations des contraintes ».
Il est aussi question d’une certaine « forme d’humour », d’une exigence « à la fois logique, poétique et éthique » et des références majeures de l’écrivain : Deleuze et surtout Wittgenstein, même si ces deux philosophes ne pensent pas forcément en bonne harmonie… Certes, en ces quelques mots, tout n’est pas dit de l’œuvre, de la pensée et de l’écriture de Hocquard. Mais un paysage est bien dessiné, délimité, pour un poète qui confessera toujours sa grande « horreur du flou ».
« Un impatient lent »
Ce paysage, Hocquard va en dresser la multiple cartographie, avec un esprit à la fois ludique et rigoureux : « de la grammaire », soulignait son ami le poète Claude Royet-Journoud, il a fait une « autobiographie » ; « la grammaire, ajoutait-il, c’est aussi l’enfance, l’apprentissage de la lettre, bref l’art de lire et d’écrire ». Pour un autre de ses lecteurs, Gilles Tiberghien – qui lui consacra, en 2006, un volume de la collection « Poètes d’aujourd’hui » (Seghers) –, de même que le philosophe doit avoir souci de l’écriture, l’écrivain doit avoir souci de la pensée. D’où, sans doute, cet « effet de ralentissement » que Hocquard produit en écrivant. Olivier Cadiot, un autre de ses proches, souligne combien il « a amélioré l’état de la pensée de la poésie ».
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