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A Lourdes, les victimes de pédophilie réclament « des actes » à l’Eglise catholique

Huit personnes ayant subi des violences sexuelles de la part de clercs ont témoigné lors de l’assemblée plénière d’automne des évêques de France.

Par  (Lourdes, envoyée spéciale)

Publié le 04 novembre 2018 à 01h14, modifié le 04 novembre 2018 à 11h08

Temps de Lecture 5 min.

Lors de la prière en commun à l’ouverture de la Conférence des évêques de France, à Lourdes (Hautes-Pyrénées), le 3 novembre.

A Lourdes (Hautes-Pyrénées), cette année, ils sont « les invités » des évêques catholiques. C’est de cette manière que Mgr Luc Crépy, président de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie (CPLP), a présenté les victimes de violences sexuelles de la part de clercs. Huit d’entre elles, hommes et femmes, étaient conviées à témoigner devant les 118 prélats, répartis en quatre groupes, à l’occasion de l’assemblée plénière d’automne des évêques de France, samedi 3 novembre.

Cette « invitation » est une première. Car malgré les révélations continues sur l’ampleur des affaires de pédophilie qui plongent le catholicisme dans une crise majeure, c’était la première fois que la Conférence des évêques de France (CEF) s’avisait d’entendre des victimes lors de sa principale réunion bisannuelle.

Ces dernières semaines, les critères de choix des « invités » avaient trahi les réticences que cette démarche suscite chez une partie de la hiérarchie catholique.

Conviés sur le tard, à la demande de victimes contactées par la CEF, les représentants de La Parole libérée ont finalement décliné, faute de pouvoir s’exprimer en séance plénière. Fondée fin 2015 par des victimes du prêtre lyonnais Bernard Preynat, cette association a permis à de nombreuses victimes de clercs de sortir de leur silence.

Elle est soupçonnée par certains prélats d’attaquer l’Eglise et d’avoir pour objectif la démission de l’archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, qu’elle accuse d’avoir couvert le prêtre pédophile. Sur citation directe de cette association, un procès visant notamment le cardinal pour non-dénonciation se tiendra en janvier.

« On ne voulait pas nous écouter »

Mais il n’est pas sûr que les témoignages des deux « invités » qui ont accepté de s’exprimer devant la presse, samedi soir à Lourdes, ne soient pas finalement plus redoutables pour la hiérarchie catholique.

Ayant conservé la foi malgré les abus subis, Véronique Garnier et Olivier Savignac parlent le même langage que les évêques. Ils ne rejettent pas l’institution – ils parlent au contraire de l’intérieur. Mais la transformation radicale qu’ils lui demandent n’en est que plus forte.

La première est déléguée épiscopale à la protection de l’enfance dans le diocèse d’Orléans, et se décrit comme « la preuve vivante que ces abus, c’est vrai », et non pas une attaque contre l’Eglise. Elle a remercié les prélats « pour la qualité de l’écoute et de silence, après avoir été pendant des années dans un silence de mort car on ne voulait pas nous écouter ».

C’est la ténacité du second, aujourd’hui musicien, qui a permis que la justice soit saisie des agressions sur de jeunes garçons commises lors d’un camp, en 1993, par l’abbé Pierre de Castelet, actuellement jugé pour ces faits à Orléans. Olivier Savignac a lui aussi regretté que les huit victimes n’aient pas été autorisées à s’exprimer en séance plénière dans l’hémicycle, les évêques leur ayant fait savoir qu’ils n’y étaient « pas prêts ». « J’espère qu’ils seront prêts la prochaine fois », a-t-il dit.

Pour une commission d’enquête indépendante

Lors de la prière en commun à l’ouverture de la Conférence des évêques de France, à Lourdes (Hautes-Pyrénées), le 3 novembre.

Tous deux ont fait le pari que leur témoignage convaincrait les évêques les plus réticents d’agir. Puisque ce sont bien des « actes véritables » qu’ils ont réclamés. « Car la crise de la pédophilie, a affirmé Véronique Garnier, c’est bien plus que la somme de péchés individuels. Ce ne sont pas seulement quelques cas isolés de prêtres qui ont dérapé, d’évêques qui n’ont pas su gérer. C’est beaucoup plus grave. Il y a quelque chose de structurel, une sorte de structure de péché. Voilà pourquoi la réponse attendue est au niveau de l’Eglise entière. » « Si rien n’est concrètement fait, si ça doit s’arrêter ici, ce sera sans nous », a résumé Olivier Savignac.

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Parmi les actes les plus attendus, ils ont cité la constitution d’une commission d’enquête qui serait chargée de faire la lumière sur l’ensemble des faits dénoncés, comme cela s’est fait dans d’autres pays. « L’Eglise ne peut pas y échapper, estime M. Savignac. Cette commission doit être indépendante, dotée de moyens financiers, avoir la coopération de toute l’Eglise. »

Mais cette proposition, promue par la CEF, rencontre à tout le moins des réticences. « C’est une commission pour faire la vérité, plaide Mgr Crépy. Moi, je n’ai rien à cacher. Je n’ai pas peur. » Mais d’autres prélats y sont hostiles. « L’Eglise avance trop lentement, c’est vrai. Les évêques avancent à des vitesses différentes », observe l’évêque du Puy-en-Velay. Au point que la direction de la CEF ne voulait pas s’engager, samedi soir, sur le point de savoir si la création de cette commission serait décidée d’ici à la fin de l’assemblée plénière, jeudi.

La division prévaut chez les évêques

Plus controversée encore est la question de la réparation des victimes. L’Eglise doit-elle constituer un fonds pour les indemniser, comme cela a été fait, par exemple, en Belgique, en Allemagne ou en Suisse ?

Pour les deux « invités » des évêques, cela s’impose. « Beaucoup d’affaires sont prescrites, argumente M. Savignac. Après 40, 50 ans, on n’a plus la possibilité de faire reconnaître par la justice ce qu’on a vécu. Une indemnité permet, même symboliquement, de réparer, de faire le deuil de ce qu’on a vécu. L’un d’entre nous a dit : l’Eglise doit se saisir de cette question avant qu’on ne le lui impose. » Mais là encore, la division prévaut chez les évêques.

A midi, les victimes avaient participé à un déjeuner avec Mgr Georges Pontier, le président de la CEF, Mgr Michel Aupetit, l’archevêque de Paris, et les membres de la CPLP, « dans une ambiance très directe, où les choses sont dites ». « Nous avons voulu signifier qu’au plus haut niveau de la CEF, nous prenons au sérieux l’écoute des victimes. Cette rencontre n’est pas un aboutissement, mais un début », a expliqué Mgr Crépy, en énumérant les décisions prises par l’Eglise catholique, depuis deux ans, pour systématiser la création de « cellules d’écoute et d’accueil » dans les diocèses, les signalements à la justice et développer les actions de formations pour ceux qui, dans l’Eglise catholique, travaillent au contact d’enfants.

« Une chape de plomb »

Le président de la CPLP reconnaît que, à l’échelle des dernières décennies, l’Eglise catholique part de loin : « Il y avait un secret coupable, une chape de plomb. Elle existait aussi dans le reste de la société. J’ose espérer que, dans l’Eglise, on avance vraiment. »

L’Assemblée de Lourdes s’est ouverte dans un climat encore dégradé par une décision pour le moins intempestive : deux jours plus tôt, le père Pierre Vignon, un soutien de longue date de l’association La Parole libérée, avait appris par un mail, jeudi, qu’il n’était pas reconduit dans ses fonctions de juge auprès de l’officialité (tribunal ecclésiastique) interdiocésaine de Lyon. Le père Vignon est à l’origine d’une lettre ouverte et d’une pétition réclamant la démission du cardinal Barbarin. La décision en revient aux douze évêques d’Auvergne-Rhône-Alpes.

François Devaux, le président de La Parole libérée, a lancé, samedi soir, une contre-pétition sur Change.org pour la réintégration du père Pierre Vignon dans ses fonctions de juge ecclésiastique.

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