Le premier ministre a annoncé, mardi 21 novembre, l’interdiction de l’« écriture inclusive » aux membres du gouvernement. Par ce terme, la circulaire publiée le lendemain au Journal officiel entend viser « une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine », tout en continuant à promouvoir l’égalité hommes-femmes. Mais si elle a été souvent comprise comme étant destinée à « bannir » l’usage de l’écriture inclusive, cette circulaire la met en réalité en place à plusieurs égards.
Que dit la circulaire ?
- Le masculin reste « une forme neutre » ;
- les noms de fonctions doivent être féminisés : « l’auteure », « la ministre », « la secrétaire générale »… ;
- les formules inclusives sont à privilégier : par exemple, « le candidat ou la candidate » ;
- le point médian (« candidat.e.s ») est à bannir.
Comment définit-on l’écriture inclusive ?
Certains l’ont remarqué rapidement, la circulaire d’Edouard Philippe met en réalité en place… une des règles de l’écriture inclusive : la double flexion quand il s’agit d’un groupe de personnes. Dire par exemple « le candidat ou la candidate », ou « les Françaises et les Français », c’est déjà écrire en inclusif.
Le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE), instance consultative sous l’autorité du premier ministre, a formalisé l’écriture inclusive dans son Guide pratique pour une communication sans stéréotype de sexe. Elle reposerait sur quatre principes :
- l’utilisation à la fois du féminin et du masculin quand on parle d’un groupe de personnes ; soit par l’utilisation de la double flexion, soit par le recours au point milieu – « les candidat·e·s » –, soit enfin par une reformulation épicène – « les personnes candidates » ;
- le fait d’accorder en fonction du genre les métiers, fonctions, grades et titres : on parlera ainsi d’ambassadrice, de chercheuse… ;
- la limitation du recours aux termes « femme » et « homme » avec une majuscule de prestige, et une préférence pour des termes plus neutres, comme « droits humains » plutôt que « droits de l’homme » ;
- l’utilisation de l’ordre alphabétique dans les énumérations (« égalité femmes-hommes »).
Comme le rappellent Danielle Bousquet, présidente du HCE, et Françoise Vouillot, enseignante-chercheuse, présidente de la commission lutte contre les stéréotypes du HCE :
« User de l’écriture ou du langage inclusifs consiste, simplement, à user du féminin et du masculin, lorsque l’on s’adresse oralement à des femmes et à des hommes, ou lorsque l’on rédige un texte qui traite des femmes et des hommes. C’est par exemple le fait de s’adresser “aux Françaises et aux Français”, comme le fait le président Emmanuel Macron. »
Le masculin n’est pas une forme « neutre »
La circulaire affirme que « dans les textes réglementaires, le masculin est une forme neutre, qu’il convient d’utiliser pour les termes susceptibles de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes ». C’est faux : le masculin est l’un des deux genres qui composent la langue française, laquelle ne connaît pas le neutre, contrairement à l’allemand, par exemple.
« L’une des contraintes propres à la langue française est qu’elle n’a que deux genres : pour désigner les qualités communes aux deux sexes, il a donc fallu qu’à l’un des deux genres soit conférée une valeur générique afin qu’il puisse neutraliser la différence entre les sexes », expliquait l’Académie française dans une mise au point sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions.
C’est la même logique qui préside à l’accord où le masculin l’emporte, une règle contre laquelle se sont élevés plus de 300 enseignants, jugeant que « la répétition de cette formule aux enfants à partir de l’âge de 7 ans […] induit des représentations mentales qui conduisent femmes et hommes à accepter la domination d’un sexe sur l’autre, de même que toutes les formes de minorisation sociale et politique des femmes ».
Ils lui préfèrent l’accord de proximité – qui consiste à accorder l’adjectif avec le sujet le plus proche, par exemple « Louis et Louise sont belles ». Une règle que tous les latinistes connaissent et qui a longtemps été d’usage en français. Elle a été abandonnée à partir du XVIIIe siècle, pour des raisons qui n’ont rien de linguistique : il fallait asseoir la supériorité masculine dans la langue, comme l’indiquait Claude Favre de Vaugelas (1585-1650), membre de l’Académie française à l’époque, rappelaient Mmes Bousquet et Vouillot dans une tribune au Monde le 20 novembre 2017.
Plusieurs autorités publiques utilisent déjà l’inclusif
Pour justifier la remise au pas des ministères, des sources à Matignon ont fait état d’une « dérive des administrations » observée ces dernières semaines, « avec des sites Internet ou des fiches de postes rédigés de cette manière ». « Le premier ministre a été alerté par les services de Matignon, ainsi que par Jean-Michel Blanquer, de la multiplication anarchique d’expressions de l’administration en écriture inclusive », précisait l’entourage d’Edouard Philippe.
Outre le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes, qui utilise l’écriture inclusive dans toutes ses communications (et parle même « du.de la premièr.e ministre »), la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a pris position et s’est déclarée « favorable à féminiser le langage, à ne pas invisibiliser les femmes dans le langage », tout en disant ne pas être « pour l’obligation d’enseigner l’écriture inclusive à l’école ».
Le code électoral lui-même stipule que « sont électeurs les Françaises et Français âgés de dix-huit ans accomplis ».
Une autorité indépendante aurait-elle pu trancher ? Peut-être, mais la seule connue, le Comité d’orientation pour la simplification du langage administratif (COSLA), créé pour trois ans (2001-2003), a depuis disparu.
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