Parfums racés, recettes diététiques, guides de voyage, robes de créateurs : Goop, la marque lancée en 2008 par l’actrice Gwyneth Paltrow, a toujours joué sur plusieurs tableaux. Mais depuis quelques mois, sa palette s’élargit avec des sex-toys graphiques aux tons pastel, un guide érotique ou encore une huile pour poils pubiens… A ceux que cela étonne, la responsable beauté chez Goop, Jean Godfrey-June, explique que « les produits intimes répondent à des besoins similaires aux produits de beauté : ils doivent être agréables et non toxiques. Les trouver sur la même plateforme a donc du sens ». Ainsi va le commerce en 2019 : les vibromasseurs se vendent au milieu des crèmes de jour.
« Ce sont surtout les femmes qui consomment des objets intimes. Or ce sont elles qui sont sensibles à la dimension lifestyle. » Marina Adshade, professeure à l’université de la Colombie-Britannique au Canada
Le concept marketing du lifestyle qui englobait déjà mode, design, joaillerie et beauté en une seule voie de distribution, s’ouvre maintenant à la libido. Plusieurs e-shops, d’origine anglo-saxonne mais accessibles partout, donnent le ton : on peut aussi bien acquérir une casquette qu’un stimulateur chez Dame, un gel nettoyant qu’un lubrifiant chez Nécessaire, un pantalon qu’un godemiché chez Free People, une crème hydratante que du sildénafil (médicament pour les troubles de l’érection) chez Hims. « Au départ, dans les années 1960, les articles destinés à une sexualité récréative sont apparus dans les librairies érotiques et chez les marchands de souvenirs, rappelle Baptiste Coulmont, sociologue et auteur de Sex-shops, une histoire française (Dilecta, 2007). Puis, avec l’arrivée des films X et la réglementation sur la protection des mineurs, ces établissements sont devenus des sex-shops, non plus associés à la jeunesse libérée mais à la misère sexuelle. » Il faudra attendre les années 2000 pour que ces articles soient commercialisés dans des « love stores » de meilleure réputation, comme Passage du désir, à Paris.
Avec le développement de la vente en ligne, anonyme, ces articles sont en train de migrer vers des sites transversaux, enveloppés d’une esthétique soignée. Car si les sex-shops drainent majoritairement des hommes, « ce sont surtout les femmes qui consomment des objets intimes. Or, ce sont elles qui sont sensibles à la dimension lifestyle », souligne Marina Adshade, professeure à l’université de la Colombie-Britannique au Canada et auteure de Dollars et sexe. Comment l’économie influence le sexe et l’amour (Presses de l’Université Laval, 2015).
Polly Rodriguez, cofondatrice de Unbound, une griffe new-yorkaise qui vend à la fois des sex-toys et des bijoux, le reconnaît : « On a essayé de reproduire le marketing des e-shops de beauté, avec chic, proximité et navigation instinctive. Ce positionnement nous permet de rassembler des femmes d’âges divers. »
Accompagnement sur la voie du plaisir
Les marques s’adaptent également à une nouvelle réalité sociologique : selon nombre de statistiques occidentales, la jeune génération serait moins active sexuellement que les précédentes – la part des 20-24 ans qui déclarent n’avoir eu aucun partenaire depuis leur majorité est passée de 6 % dans les années 1960 à 15 % en 2014, selon une étude de l’université de Floride. En cause, la pression économique, la multiplication des écrans, la chute du taux de testostérone, les blocages liés à la consommation de pornographie…
Cette évolution ouvre un créneau aux labels, qui promettent à leurs clients de les accompagner sur la voie du plaisir. Le tout avec un discours décomplexé : « Faites-vous du bien », susurrent ces nouvelles entités lifestyle qui rangent souvent leurs produits intimes dans la catégorie « bien-être ». « Le sexe était vu hier comme un moyen de procréer, un devoir conjugal ou un élément de plaisir, analyse Marina Adshade. A l’avenir, il sera de plus en plus “marketté” comme un facteur de bonne santé. »
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu