Enfant de la Libération – il naît le 24 octobre 1946 à Saint-Maur-des-Fossés –, le réalisateur Patrick Grandperret, qui s’est éteint doucement le samedi 9 mars, aura mené une vie professionnelle à la hauteur de cet impératif originel. Destiné au commerce (il étudie à l’Essec), il bifurque sans tarder d’abord vers la photographie, puis vers le cinéma, entamant une carrière significative mais erratique (sept longs-métrages en trente-cinq ans de carrière). L’assistanat à la réalisation lui donne de bons maîtres en matière de conquête de la liberté et de respect de ce que l’on est, aux côtés notamment du libertaire Claude Faraldo (Deux Lions au soleil, 1980), et de l’anarchiste Maurice Pialat (Passe ton bac d’abord, 1979 ; Loulou, 1980).
Ses premiers pas comme réalisateur témoignent de cette croyance dans la nécessité de se mettre soi-même en jeu et en danger comme créateur de cinéma, de ne jamais, en somme, trop s’éloigner de soi-même pour mieux mettre sa peau sur la table de montage. Sa passion pour la moto (il a fait de la compétition) nourrit ainsi ses premiers films. Ce sera le documentaire La Coupe Kawasaki en 1974, puis sa première fiction, puissamment documentée, avec Courts Circuits en 1981, dans laquelle Gérald Garnier, vrai pilote rangé de la compétition après un terrible accident, tient le premier rôle, celui d’un mutilé des courses qui devient braqueur.
Sa vraie reconnaissance dans le milieu vient toutefois huit ans plus tard avec Mona et Moi, qui reçoit le prestigieux prix Jean-Vigo. Inspiré de l’expérience haut en couleur de son ami Simon Reggiani, le film met en scène Denis Lavant, Antoine Chappey, Sophie Simon et Johnny Thunders, idole de la scène punk new-yorkaise dans son propre rôle, dans une déglingue pleine de fureur et de poésie. Par la moto ou par la drogue, la vie doit toujours brûler chez ce romantique tardif qu’est Grandperret. Mona et Moi est ainsi un film furieux non exempt de douceur, qui vous laisse, par exemple, le souvenir incongru et délicieux d’un Hubert Deschamps relatant au comptoir d’un troquet parigot à Johnny Thunders l’assassinat, à deux pas, d’Henri IV par Ravaillac.
C’est donc une certaine tradition corsaire française qui s’exprime ici à plein vent, où la gouaille des anciens temps rencontre le lâcher-prise du jeu moderne, où la banlieue pointe son nez dans Paris, où l’économie à l’arrache met sur pied une œuvre qui tient sur l’énergie, le rêve persistant, l’effroi, tout aussi bien devant la destruction de cette utopie que les années 1980 auront mise en lambeaux. On ne s’étonnera donc pas trop que, parmi ses amis, Grandperret compte des créateurs aussi singuliers et aussi libres que Jean-François Stévenin ou Claire Denis, dans certains films desquels on le retrouve comme acteur, quand ce touche-à-tout ne les produit pas. En attendant, comme d’habitude, il faut bien manger. La production de films publicitaires y pourvoit.
Succès de « L’Enfant lion »
Le retour est inattendu, mais à la réflexion logique pour cet aventurier dans l’âme qu’est Grandperret, qui passe par le film pour enfants et par l’Afrique, dans une adaptation d’un récit de René Guillot. L’Enfant lion (1993) – conte panthéiste et sensible sur l’amitié entre un garçonnet noir, Oulé, et une jeune lionne, Sirga – est tourné durant un an caméra à l’épaule, un peu pour faire plaisir à sa fille, et avec des moyens qui s’avèrent rapidement insuffisants. Une vraie épreuve en d’autres mots, dont la récompense est le premier et dernier succès populaire de Grandperret, plus d’un million de spectateurs répondant présents à l’invitation de ce film qui évite la mièvrerie ordinaire du genre. Le film ne lui en laisse pas moins de cinq millions de dettes sur les bras. Cela, c’est tout Grandperret.
L’Afrique demeure deux ans plus tard le cadre du Maître des éléphants, également adapté d’un roman de René Guillot. L’histoire d’un jeune orphelin venu de la métropole qui fait connaissance en Afrique d’un père (Jacques Dutronc) qu’il devra apprendre à connaître. Ce beau récit d’éducation ne rencontre pas le succès, poussant peut-être le réalisateur à s’essayer à un projet de plus grande et classique envergure avec Les Victimes (1996). Ce polar adapté de Boileau et Narcejac réunissant Jacques Dutronc, Vincent Lindon et Karin Viard, est finalement un film impersonnel et un échec commercial.
Purgeant une longue peine à la télévision, Grandperret revient dix ans plus tard pour renouer avec la veine de ses débuts. Meurtrières (2005) est la mise en scène d’un scénario jamais réalisé de Maurice Pialat autour d’un fait divers sanglant, l’assassinat d’un automobiliste par deux auto-stoppeuses. Grandperret en tire une chronique amère et un road-movie charentais où la sauvagerie des deux filles (Handé Kodja et Céline Sallette) se donne à voir comme la révolte hasardeuse de deux proies victimes d’une société où la prédation sociale et sexuelle fait loi. Dix ans passeront encore avant que, malade, le cinéaste ne réalise avec sa fille Emilie Fui Banquero (2016), chant d’adieu personnel et fable cubaine partagée qui voit un jeune banquier français (Robinson Stévenin) renoncer à sa vocation pour se lancer à la rencontre de lui-même. Le film, tourné avec des bouts de ficelle, touche par sa fidélité à l’univers du cinéaste : partir le plus loin possible pour espérer se trouver. Aujourd’hui, c’est gagné.
Dates
24 octobre 1946 Naissance à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne)
1980 Assistant de Maurice Pialat sur « Loulou »
1981 « Courts Circuits »
1989 « Mona et Moi »
1993 « L’Enfant lion »
2005 « Meurtrières »
9 mars 2019 Mort à Saint-Maur-des-Fossés
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